Vendredi, quinze heures et trente-sept minutes
Dans le taxi qui me ramène à l'école, je suis étrangement impatient. Les minutes passées dans l'embouteillage m'indisposent. Althéa ne doit en aucun cas arriver avant moi là-bas. La séance du Book Club a surement déjà pris fin en ce moment. J'ai mon cœur qui bat la chamade.
A exactement deux rues de l'institution, Le taxi est coincé dans un bouchon pas possible. Je m'empresse de payer le chauffeur et de sortir du véhicule. La, je marche assez vite tout en m'épongeant le visage dégoulinant déjà de grosses gouttes de sueurs.
Je me heurte à un marchand de papitas. Ce dernier, furieux, ne se gêne pas pour m'injurier :
« He, macaque, regarde où tu vas ! »
Je n'ai pas le temps pour lui faire une réponse, autre chose me préoccupe de toute façon. J'y suis presque, et mon cœur continue à battre à un rythme effréné.
Je n'ai jamais été chanceux dans ma vie. Et aujourd'hui encore, cela se confirme. Je croise Althéa a la sortie de mon établissement scolaire, la mine défaite et visiblement en colère. Je m'arrête net, tout en m'essuyant longuement le visage. Je finis par balbutier :
« Bon... Bonsoir chérie ! »
***
Vendredi, quinze heures et cinquante-deux minutes
Elle me dévisage comme si j'étais un moins que rien. Je tente de lui toucher le bras mais elle m'y empêche. Je lui demande :
« Tu vas bien ? »
« Tu étais ou, Sanon ? »
« Je... J'étais parti régler quelque chose qui m'a pris plus de temps que prévu... »
Elle me fixe toujours aussi étrangement. Au bout d'un instant, elle me demande :
« Avec Florentine ? »
Sa question me prend de court. Althéa reste toujours impassible. Je tente de la rassurer :
« Non, ce n'est pas ce que tu crois ma chérie. »
« Tu n'étais donc pas avec Florentine ? »
Qui a bien pu lui dire que j'étais avec Florentine ? Fénelon surement. Ce dernier nous avait interpellés au moment de quitter l'établissement vers les treize heures. C'est sans nul doute ce coquin !
« Non... enfin si ! Elle ne se sentait pas bien et je l'ai conduite chez elle. »
« Je vois... Et pourquoi ne m'avoir pas dit que tu n'étais pas à ton école ? Tu n'es pas obligé d'être constamment en train de cacher des choses, Sanon ! Ce n'est pas cette attitude qui fera de toi un homme s ! Tu agis comme si pour toi je ne valais rien du tout... »
Mes pieds tremblotent. Je tente de sauver la situation :
« Je suis certain d'avoir mal agi et je m'excuse. Mais tu as tort de dire que je ne te priorise pas... »
Faisant fi de ce que je viens de lui dire, elle poursuit :
« Et tu n'as donc jamais arrêté de rôder autour de cette fille ! Tu es tout bonnement pathétique ! »
Avant que je n'aie le temps de lui répondre, Althéa me tourne les talons :
« Bon après-midi, Sanon ! »
Cloué sur place, je regarde Théa s'engouffrer dans une camionnette. Je sais, j'ai vraiment merdé cette fois !
***
Samedi, huit heures et vingt-deux minutes
Je viens de recevoir un message de Victor. Ce dernier ne semble pas vouloir me lâcher. Ou donc a-t-il bien pu dénicher mon numéro de téléphone ? Je dépose le téléphone sur le lit tout en soupirant. Je me dirige vers la cuisine ou ma mère est en train de s'affairer. Elle semble ne pas être de trop bonne humeur, comme presque fort souvent ces temps-ci d'ailleurs. On se salue discrètement, et je poursuis mon chemin. Je trouve père dans le salon en train de lire son journal, la radio à ses côtés. Tout est à sa place apparemment. Peut-être suis-je le seul à être tourmenté dans tout ce décor.
Hier a été l'une des pires journées que j'ai pu vivre de toute mon existence. Je n'ai pas pu trouver le sommeil, terrassée par bien trop de pensées. L'histoire avec Florentine me cause énormément du souci. C'est dur de savoir que son amie est en train de mourir. Je ne me suis jamais senti aussi impuissant de toute ma vie. Les mots ne suffisent pas dans un pareil cas. Si seulement je pouvais faire quelque chose pour la sauver.
Ils sont nombreux, les jeunes de mon âge, à mourir du cancer tous les ans. Cette vilaine chose attaque enfants et adolescents, les maltraitent jusqu'à les tuer. Et ça ne veut pas s'arrêter. Les jeunes meurent alors que ce qu'ils souhaitent le plus, c'est de vivre leurs vies et de faire des expériences. Je me sens si petit face à ce fléau qui n'épargne personne.
Nous mourrons avec nos rêves, nos espoirs et nos fantasmes. Ce mal qu'est le cancer se fout totalement de nos aspirations et des objectifs que nous nous fixons dans la vie. Il vient et il fait son truc, ni plus ni moins...
Tout en pensant à Florentine, je me dis que ce que j'ai à faire est simple : être là pour elle envers et contre tout. L'aider à oublier ses peines, et à se battre fièrement contre cette maladie. Je ne suis peut-être pas un ange guérisseur, mais au moins serais-je un ami !
Autre sujet de préoccupation, Théa. Ma copine a ignoré mes appels et boudé tous mes messages. Je dois être patient sur ce coup. Tout est de ma faute après tout. Je dois aller la voir sur scène ce soir, j'en profiterai pour tenter de fixer les choses avec elle et me faire pardonner...
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Sanon IV
Kısa Hikaye«Tu sais ce qui a de pire dans tout ça, Sanon? C'est que personne ne peut me dire comment c'est la mort...» Je me demande comment elle fait pour garder son humour dans une pareille situation. Je ne dis rien, je continue à lui tenir la main. «Je t'a...