12.

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Je fais lentement couler l'eau bouillante dans les tasses. Un nuage de vapeur monte jusqu'à mon visage, le rend moite. Je repose la bouilloire sur son socle et je prends mon plateau. 

Dans le salon, elle est assise sur mon canapé, entre deux coussins, prostrée. Elle regarde à peine autour d'elle, les mains serrées entre ses cuisses. Elle ressemble à un petit animal aux aguets. J'ai peur de l'effrayer. 

Doucement, je pose le plateau sur la table basse et je vais m'asseoir près d'elle. Elle me sourit un peu, un sourire brouillé de larmes, un sourire qui a mal partout. 

On ne parle pas. On se regarde juste très longtemps, dans les lumières bleues de la nuit. Sa peau me semble translucide, ses yeux si fatigués. 

Je voudrais lui demander pourquoi mais je n'ose pas. Et je ne suis pas sûre qu'elle répondrait. 

-Qu'est-ce que c'était, la musique ?

Je regarde ses lèvres bouger dans l'obscurité. La musique... Je me lève, remet le CD. Elle me remercie. 

On boit notre thé en se regardant et je ne savais pas que les regards pouvaient être des choses aussi profondes, que les regards pouvaient remplacer tous les mots du monde, qu'ils pouvaient faire reculer le temps, appuyer aussi fort que des mains dans la chair. Je ne savais pas que le regard d'un être humain pouvait être comme un ciel constellé d'étoiles, qu'il pouvait être à la fois doux et mordant, qu'il pouvait faire mal et aimer. 

Je ne savais pas. 

-Je ne savais pas. 

Je sursaute à peine. Ca voix est un peau rauque de larmes. Elle se replie encore un peu dans mon canapé. 

-Quoi ? 

-Que l'on voyait aussi bien l'intérieur de mon appartement, d'ici. 

Je tourne légèrement la tête pour regarder par la fenêtre. En face c'est le balcon d'où elle allait sauter. En face c'est le balcon et je revois ses bras tendus au dessus de la rambarde, ses pieds nus qui allait l'enjamber, son visage si calme et déterminé.

J'entends encore ma voix traverser le silence de la nuit et venir la heurter pour qu'elle tombe en arrière. 

-J'ai eu peur. 

Elle ne répond pas et souffle sur le liquide brûlant dans sa tasse. Je ne sais pas pourquoi je dis ça, mais j'ai besoin d'en parler. Je ne sais pas me taire. Et j'ai eu peur. J'ai encore les mains qui tremblent. Si elle avait sauté... je crois que je ne me le serais jamais pardonné. 

-Je suis désolée. 

-Pourquoi ? 

-Pour t'avoir fait peur. 

-Non...

Je repose ma tasse sur la table. 

-Non, je veux dire, pourquoi est-ce que tu voulais... Faire ça ?

Son regard se perd quelque part dans mon salon. Elle hausse les épaules. 

-Je ne sais plus... C'était comme ça, à l'instant.

Love is a losing gameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant