18.

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-C'est joli. Je ne me reconnais pas.

Je ris un peu. Sayo me tend la photo, elle en prend une autre. Elle s'observe avec recul, comme si ce n'était pas elle sur mes clichés.

Et je crois qu'effectivement, ça ne l'est pas.

Toujours le même problème. Les yeux dans lesquels on ne lit rien.

Je soupire. Repousse le petit tas de photographies.

Sayo se mordille la lèvre.

-Tu ne vas pas t'en servir pour, euh, ton examen ?

-Non.

-Pourquoi ?

-Ca ne va pas.

Son expression change et je m'empresse d'ajouter :

-Ce n'est pas à cause de toi. C'est moi. Je n'arrive pas à... A capter les regards.

Elle reprend un des clichés. C'est son visage, légèrement penché. Ses yeux délicatement bridés qui m'observe sous la frange de ses cheveux. Pupilles noires et lisses. Une tâche de lumière au milieu. Des veines sombres tout autour des paupières.

Elle caresse le papier glacé.

-C'est parce que tu ne sais rien de moi.

-Comment ça ?

-Quand tu ne connais pas quelqu'un, tu ne peux pas lire en lui. C'est impossible.

Je me lève, vais jusqu'à la cuisine pour aller chercher à boire. Je réfléchis. C'est vrai que sans savoir ses secrets, ce qui l'anime, ce qui lui plaît dans la vie, quelles sont ses peurs, ses angoisses, ses désirs inavoués... Je ne peux pas réussir à l'exposer aux autres. Je reviens vers elle, deux verres à la main. Elle m'observe, à moitié allongée sur mon canapé.

C'est étrange ce qui flotte entre nous. Parfois tout est extrêmement banal, parfois c'est ma voisine qui vient frapper chez moi et qui reste quelques heures pour discuter de tout et de rien, et puis soudain c'est Sayo, c'est la nuit, c'est un regard fuyant et un corps que je ne cesse de désirer sans pouvoir l'approcher.

Là maintenant, c'est encore autre chose.

Atmosphère lourde et pénétrante, ses paupières lasses qui me bouleversent, sa main qui se tend pour que je vienne près d'elle.

Je m'assois, doigts crispés autour de mon verre. Elle me sourit. Je ne sais pas à quoi elle pense quand elle caresse ma joue comme ça, quand elle effleure ma bouche en la fixant avec attention. Je pense à son copain et je suis mal à l'aise, l'autre jour je les ai vu faire l'amour, je n'arrivais pas à décrocher mon regard des ombres de leurs corps, je les ai vu et j'ai honte car j'avais envie d'être à sa place à lui, de la tenir entre mes mains et de plonger mon visage dans l'odeur de sa peau.

J'ai honte et en même temps j'ai conscience qu'elle joue avec moi, qu'il y a quelque chose qui n'a rien à voir avec de l'amitié lorsqu'elle me regarde comme ça, quelque chose de plus, qui me fait penser que si je me penchais pour l'embrasser, elle ne reculerait pas.

Je me racle légèrement la gorge, et je détourne le regard.

-Comment... Comment je peux apprendre te connaître ?

Sa main retombe sur sa cuisse.

-Pourquoi ferais-tu ça ? Pour me photographier ?

-Oui. Non... Aussi... Aussi pour te connaître, simplement.

-Tu en as envie ?

-Oui.

Je ne souris pas. J'ai un peu mal au ventre. J'ai peur de la suite, des mots après. De ses doigts qui bougent, qui attrapent mon poignet.

-Pourquoi ?

-Parce que... Parce que je te trouve intriguante.

-Vraiment ?

-Oui.

Ma voix est étranglée dans ma gorge. Elle se redresse, s'agenouille près de moi. Son visage est trop près. J'ai envie de reculer mais quelque chose m'en empêche, quelque chose comme un désir brûlant et dévastateur.

-Moi aussi... Je te trouve intriguante Charly.

Elle sourit.

Bordel.

J'aime tellement ce sourire.

Love is a losing gameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant