Maladresse

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« Alors, tu vas me parler de qui ce soir ? » demanda la jeune fille excitée d'entendre à nouveau une histoire. Chaque soir, elle se réfugia dans son lit, alluma sa lampe de chevet et attendit que Prosopopée s'assît et commençât à raconter.

« Ce soir, je vais te raconter qui était Maladresse. Je pense que tu vas beaucoup l'apprécier. Elle te ressemble assez. » La grand-mère taquinait sa petite-fille.

« Maladresse était une jeune femme, très grande, mince, ses bras se baladaient en grands gestes sur les côtés de son corps courbé. Ses cheveux noirs et fins descendaient jusqu'à son bassin. Elle marchait sans grande élégance en ne manquant pas de se cogner à chaque coin de meubles ou en oubliant de se baisser pour passer sous une embrasure de porte. On ne lui confiait jamais de tâches quelque peu compliquées.

Chaque samedi soir, nous organisions un grand repas réunissant tout le monde. Nous avions pour habitude d'ordonner à Maladresse de rester assise à la table sans nous aider. Une fois, elle voulut absolument participer à l'organisation du repas. Nous cédions et nous le regrettions : elle fit tomber le pot de sel dans le plat ; en apportant les assiettes pleines aux invités elle renversa celle-ci sur Propreté parce que ses pieds s'étaient pris dans le tapis ; puis en nous servant à boire, elle vida la moitié de la bouteille de vin à côté des verres et en s'excusant, elle donna un grand geste qui fit basculer le chandelier mettant le feu à la nappe déjà tachée.Cette fille était une catastrophe ambulante ! Nous avions retenu la leçon et nous aider lui fut désormais proscrit.

Cependant, cela ne l'empêchait pas de faire des bêtises. Un soir, alors que nous étions sortis en douce avec Festivité, nous voulions rentrer à la maison sans faire de bruit et sans nous faire remarquer. Mais Maladresse se cogna dans le lustre. En se tenant la tête, elle gigota et finit par taper dans la table du salon. Or, se trouvait sur celle-ci un vase en céramique qui bousculé, se brisa sur le sol et laissa échapper ses belles fleurs que Coquetterie aimait tant. Quel vacarme elle produisit ! Elle réveilla toute la maisonnée.

Ainsi, Maladresse était quelque fois drôle, quelque fois imposante. Elle était toujours désolée mais nous la pardonnions vite. Pourtant, elle nous mettait souvent en colère.

Maladresse apportait de la vie dans la maison. Ses bêtises étaient divertissantes.

— Donc lorsque je suis maladroite, je suis divertissante ? interrogea l'enfant.

— Oui. Même si on préférerait ne pas avoir notre dîner étalé sur nos genoux » rit la mamie qui déposa un baiser sur sa joue.

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