Azul

Aquarelles

Héloïse.

Oh Héloïse, tu te souviens?
Non, tu ne te souviens pas, Héloïse
Tu as surement tout oublié
Tout effacé
Dans l'écume
Comme ta promesse.

Azul, elle, t'attendait.
Elle avait tout effacé, toutes les traces, tous les liens, mais elle attendait quand même. Elle avait effacé les photos, les sourires, les éclats de rire et de voix et les mots, les images, les éclats de rire et d'espoir.
Tous tes chefs-d'oeuvre, Héloïse.
Toutes les photos,
Les dessins au stylet et à l'encre et à la mine,
Tout effacé.
Pas parce qu'elle te haïssait,
Elle ne t'as jamais haïe, Azul,
Mais parce que ça lui faisait trop mal.

Elle a décroché toutes tes aquarelles. Et elle les a glissé dans une pochette
Une pochette à l'abris du temps,
Une pochette rouge pour tes lignes bleues,
Et pâles,
Et noires.
Elle n'a pas eu la force de les détruire, tes aquarelles. Elle espérait, elle attendait que tu reviennes, un jour, pour les remettre sur les murs de sa chambre,
Blancs
Et nus.
Elle essayait de les combler, avec ses dessins, avec ses mots à elle,
Mais c'était superficiel,
C'était artificiel
Alors elle attendait.

Elle attendait, et elle avait mis tes aquarelles,
Bleues
Et pâles
Et noires
Dans une pochette rouge pour les protéger de la pluie,
De la pluie qui coule sur ses joues,
Sans bruit.

Mais un jour, il ne pleuvait plus, Héloïse.
Il faisait trop noir,
Et trop sombre.
Elle avait ouvert les yeux trop tôt, sur un ciel trop noir, qui crevait le coeur, juste après avoir rêvé de toi. De toi ou de ton fantôme? Que restait-il? Étais-tu vivante, au moins?
Ce jour-là, elle s'était battue, elle avait fait de son mieux, mais il faisait froid, et elle avait trop peur.
Elle avait paniqué,
Encore,
Toute seule.

Et puis elle s'était redressée, était repartie, sourire en carton, des larmes vides dans ses yeux secs.
Et ce soir-là, c'était la nuit, la nuit noire et lourde et pesante et elle était prisonnière. Elle était prisonnière dans le bus, parce que les vitres étaient trop epaisses, trop opaques pour s'enfuir en les brisant, mais elle aurair voulu se jeter par la fenêtre, Azul. Ils étaient là, tous là, moqueurs. Méchants. Terrifiants.

Ils riaient, et elle faisait semblant de rire avec eux, semblant que tout allait bien, semblant qu'elle n'avait pas mal. Mais en vérité, elle n'avait d'yeux que pour toi. Parce que tu étais là, tout prêt. Et comme elle n'osait pas, comme elle n'avait pas le droit de venir te voir, elle regardait ton reflet.

Ton reflet bleu
Et pâle
Dans la vitre noire.

Mais toi, tu ne voyais pas, tu n'entendais pas,
Ou peut-être que si,
Peut-être que tu entendais les rires,
Que tu voyais le maquillage,
Mais dans ce cas-là tu étais plus aveugle que la nuit elle-même.

Tu es descendue trois arrêts de bus avant elle,
À une centaine de mètres.
C'est bête car, ce soir-là,
Si tu étais restée juste un peu plus longtemps,
Tu aurais entendu les mots, tu aurais vu, tu aurais vu ses yeux qui ne pleuvaient plus.
Ses yeux vides.

Mais ce soir-là, Azul est allée dans la salle de bain,
La salle de bain bleue avec deux miroirs qui dessinaient une infinité de fantômes autour d'elle,
Elle a retenu son souffle,
Et elle a tracé un trait
Juste une ligne sur sa peau diaphane.
Et elle a respiré,
Et ça faisait comme un tatouage,
Une ancre dans l'océan et dans le sel et dans l'écume.
Et il pleuvait,
Ses yeux pleuvaient du bleu,
Son bras pleuvait du rouge,
Du rouge
Qui cachait du bleu
Pâle
Et du noir.

Et maintenant elle attend, Azul.
Elle attend que la plaie se referme,
Elle attend que la marque disparaisse,
Et que son bras redevienne pâle,
Avec des veines bleues.
Et elle a laissé tes aquarelles dans leur pochette rouge,
Et parfois elle pleure, parce que c'est compliqué,
Et parfois elle t'en veut,
Et toujours elle s'en veut
De ne pas avoir tenu la promesse
Que tu as oubliée.

Tu te souviens, Héloïse?

Ce que tu as oublié...