Chapitre 7

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Le soleil pointait à peine et seules quelques âmes erraient dans le village, déjà occupées à leurs tâches matinales. Leur organisation ne lui facilitait pas la tâche ; elle dût attendre d'être hors de vue pour quitter la petite maison où on l'avait recueillie. Deux chiens aboyèrent sur son passage, mais leur manque de conviction n'attira pas l'attention.

Ainsi, Carrie se glissa hors du village. Elle se précipita dans la forêt et laissa ses pouvoirs la guider parmi les arbres pour retrouver sa maison.

Elle y avait réfléchi toute la nuit. Malgré les réticences de son père et les siennes propres, la seule solution était d'accepter le marché. Ce simple engagement pouvait sauver des vies, y compris celle de sa sœur et de l'enfant qu'elle portait. Non, elle ne pouvait se résoudre à les laisser en proie aux Anglais.

Sans surprise, elle fut très vite arrêtée par des soldats. Surpris et suspicieux, ils avaient tout de suite pointé leurs armes sur elle puis, voyant qu'elle ne présentait pas une grande menace, ils avaient abaissé leurs fusils.

Carrie parlait anglais presque couramment, ses pouvoirs lui permettant d'assimiler très vite n'importe quelle langue. Une trop grande aisance pouvant attirer les soupçons, elle s'efforça d'y ajouter des fautes de langues et un accent bien prononcé lorsqu'elle leur expliqua qu'elle s'était perdue la veille, et avait dû passer la nuit dehors. Le mensonge ne sembla pas les duper. Plus que tout, Carrie espérait surtout qu'ils ne fassent aucun lien avec la tribu voisine et n'en tirent de conclusion hâtive.

Après un bref échange, les soldats la conduisirent très vite devant leur chef. Un homme qu'elle reconnaissait : il s'agissait de celui qui avait offert de l'épouser. Son cœur manqua un battement.

Il était plutôt bel homme, si l'on parvenait à faire abstraction de son regard perçant, dérangeant. Brun de cheveux, il avait le visage long et arborait une petite moustache parfaitement taillée qui couvrait juste la longueur de sa lèvre supérieure. Il se leva à son entrée et enfila sa veste rouge. Carrie frissonna quand elle lut dans ses yeux qu'il l'avait reconnue.

— Miss... je ne m'attendais pas à vous voir ici, dit-il dans un français presque dénué d'accent. Mes hommes m'ont dit vous avoir trouvée dans la forêt ?

— Oui. Je me suis perdue...

Il lui proposa de s'asseoir. Elle le regarda aller et venir dans sa tente montée à la hâte, sortir une tasse et la poser devant elle. Il la remplit de thé encore fumant puis attrapa la sienne et en huma les arômes.

— Monsieur votre père sait-il où vous vous trouvez ?

— Non. Je me suis perdue.

Il plissa les yeux puis but une gorgée. Avec soin, il reposa la tasse sur sa soucoupe.

— Pardonnez mes interrogations, mais vous semblez bien propre pour une jeune fille ayant passé la nuit dehors. À moins que vous ne soyez sortie à la tombée de la nuit, vous auriez dû être trempée par les averses qui se sont abattues ici toute la journée d'hier.

Elle pinça les lèvres.

— Ne me sous-estimez pas, monsieur. Si vous venez de Londres, vous êtes sans doute habitué à de charmantes ladies aux manières délicates, mais je suis arrivée ici avec les premiers colons. Je n'ai pas été élevée dans la soie au cœur de la capitale. Les conditions étaient rudes à notre arrivée.

Sa répartie lui arracha un sourire amusé.

— Veuillez me pardonner, si ma remarque a pu vous blesser.

Il s'inclina légèrement face à elle.

— Pour quelle raison avez-vous établi votre campement ici ? demanda-t-elle. Envisagez-vous d'attaquer mon village ?

La Turquoise (L'Hybride, Annexe 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant