Chapitre 1

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Au temps des premiers colons, nombre d'européens émigrèrent vers les terres sauvages d'Amérique. Venus y relever de nouveaux défis, y faire fortune ou simplement vivre loin des persécutions religieuses, ils cherchaient tous une vie meilleure, plus libre et en phase avec leurs valeurs.

Dans ce nouveau pays, tout était encore à construire.

Le voyage jusqu'au Nouveau Monde était pourtant fort rude, et beaucoup mouraient en chemin. Ceux qui y survivaient affrontaient alors, à leur arrivée, d'impitoyables hivers et d'infernaux étés, que le Vieux Monde ne connaissait pas. Et quand, enfin, les éléments accordaient aux nouveaux venus un moment de répit, les heurts avec les tribus locales se multipliaient.

Seuls les plus forts, les mieux préparés résistaient.

Malgré les difficultés à surmonter, une famille française quitta Clarme. Comme d'autres avant elle, elle affronta la longue route qui menait en Amérique, et s'installa sur la côte le temps de s'acclimater à de plus dures conditions de vie que celles qu'elle connaissait. Elle y demeura quelques mois, puis s'enfonça plus loin dans les terres encore sauvages appelées Grandes Plaines. De hautes montagnes à l'horizon, une forêt fournie en gibier, une rivière à proximité et une formidable prairie pour construire et cultiver ; le lieu semblait idéal. La famille, avec plusieurs autres émigrés, choisit d'y établir un camp à proximité.

Les trappeurs situèrent vite cette nouvelle communauté, source de commerce et de troc, et de nombreux marchands entamèrent des périples pour la relier aux villes alentours. Le camp prospéra et se mua en village au bout de quelques mois à peine. Lorsqu'à l'automne, un cyclone les frappa, tout fut à refaire. Il dévasta tout sur son passage : arbres, constructions, habitants, récoltes, troupeaux. Trompés par un été tardif, les habitants n'avaient pas prévu les intempéries de la mauvaise saison et ne s'y étaient pas suffisamment préparés. Les maisons de bois ne lui résistèrent pas et l'arrivée proche de l'hiver n'aida pas la petite communauté à le passer avec sérénité.

Sans réserves alimentaires, les routes entravées par les arbres arrachés et bientôt bloquées par la neige pour en acheminer depuis d'autres villes amies, tout semblait indiquer qu'ils n'y survivraient pas. Mais contre toute attente, c'est la forêt qui sauva la vie des habitants, et plus précisément la tribu indigène qui vivait à proximité. Le commerce qu'ils engagèrent avec eux les aida à survivre.

Une année s'écoula. Les escarmouches indigènes dont se plaignaient les colonies voisines n'avaient pas cours ici. Le village avait établi des relations commerciales, plutôt pacifiques avec les Indiens. L'un d'eux, parfois, s'aventurait dans le village en quête de fournitures diverses, ou cherchait à troquer des fourrures contre des biens venus d'Europe, mais leurs visites restaient rares. La défiance subsistait malgré tout, et le choc des cultures portait sur eux une attention qu'ils n'appréciaient pas. Les trappeurs se chargeaient donc le plus souvent du rôle d'intermédiaires entre les sauvages et la civilisation.

Cette paix relative, le village la devait avant tout au général de Collard. Par ses décisions rapides et avisées, il avait sauvé plus d'une fois la vie de ses habitants. Certains avaient jalousé sa capacité à s'imposer naturellement ; la venue dans un nouveau monde représentait pour beaucoup l'occasion d'assouvir leurs désirs de gloire. Toutefois, avec le temps, les tensions s'étaient dissipées, ou réglées arme au poing.

Patriarche d'une famille de noble lignée, Pierre de Collard avait fait le choix de découvrir ces nouvelles contrées accompagné de son épouse et de ses deux filles. En tant que militaire, il avait beaucoup voyagé pour défendre sa patrie. Toutefois, en dépit de sa profession, la guerre lui plaisait peu et il avait activement cherché, dès son arrivée en Amérique, un endroit où créer une nouvelle communauté, loin des combats. Sans oublier sa loyauté à la couronne, il espérait ne pas se mêler aux combats de plus en plus rudes qui opposaient à la fois l'Angleterre, la France et plusieurs tribus indiennes déjà sur place.

La Turquoise (L'Hybride, Annexe 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant