Chapitre 8

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Épuisée par l'intensité des derniers jours, Carrie sombra sitôt allongée sur son lit. Toutefois, son repos habituel prit une forme nouvelle.

Elle avait déjà expérimenté des aperçus du futur ou du passé, eu le sentiment de communiquer avec un tiers par rêve interposé. Une fois, elle avait même cru avoir communiqué avec sa mère... mais encore aujourd'hui, elle hésitait entre rêve et contact avec l'au-delà.

Cette nuit, c'était différent. Elle survolait son pays d'adoption. Tel un oiseau, elle survolait ses immenses forêts, sa rivière au cours rapide, ses vastes plaines. Malgré l'obscurité, ses visions, plus précises que l'œil humain, lui permettaient de ne rien manquer du spectacle : des silhouettes animales qui se déplaçaient parfois aux épines des sapins chahutés par le vent... elle distinguait tout. A contrario, le son lui parvenait difficilement et accentuait l'irréalisme de sa situation. Seul le souffle du vent et l'agitation qu'il provoquait dans la canopée émettait un son clair, rien de plus.

Au-dessus de sa tête, une lune irréelle baignait cette nature luxuriante de ses rayons laiteux. Coupé des sons parasites, son esprit, attiré tantôt par ce que l'obscurité lui cachait, tantôt par ce que la lumière lui révélait, vagabondait selon son instinct. À demi consciente d'être dans un rêve, Carrie se laissait guider par sa clairvoyance et son cœur trouvait enfin la quiétude qui lui manquait tant, de jour.

Colardine se profila, cernée sur son flanc nord par la forêt d'épineux qu'elle admirait depuis ses hauteurs. Sans effort, elle distingua la lumière derrière les fenêtres des habitations, les profils des habitants qui fuyaient la rudesse de l'hiver pour la chaleur de leur foyer. Toutefois, ce sont les mouvements des soldats ennemis trop proches qui retinrent son attention. Répartis autour de la ville, les fourmis grouillaient tout autour de l'enceinte, agglutinées autour pour mieux en bloquer les accès.

Son esprit se détourna très vite. Lassé de l'angoisse qui lui nouait le ventre, il s'était laissé prendre au piège du foisonnement de la Source non loin, plus séduisante. La nuit, ou la lune peut-être, l'avivaient et Carrie pouvait presque distinguer chacun de ses faisceaux, comme de minuscules filaments, soutenir la flore alentours et améliorer leur prospérité. Le flot de magie, irrésistible, lui donna envie de reprendre contact avec elle, de se laisser envahir à nouveau par son enivrant pouvoir. En y puisant directement, les troupes qui menaçaient son village ne résisteraient pas plus d'une seconde...

Toutefois, elle renonça. Sa lucidité retrouvée, l'idée lui semblait soudain confuse, dangereuse. Elle la repoussa.

Une bourrasque agita les arbres et entraîna sa conscience plus loin. Par-delà la forêt, elle arriva au bord du fleuve où se regroupaient les maisons indiennes. Les feux du dehors étaient éteints ; quelques chiens surveillaient l'extérieur les paupières lourdes. Elle se rapprocha. La lumière qui filtrait des maisons de terre l'attiraient. Quelques silhouettes circulèrent d'une place à l'autre, mais toutes disparurent bien vite à l'intérieur. Curieux, l'esprit de Carrie se rapprocha du sol et s'aventura parmi les habitations à la recherche de celle de Petit Chef. Leur dernière entrevue avait suscité trop de questions dans son cœur pour ne pas tenter de leur offrir une réponse. Elle voulait comprendre le lien qui s'était tissé entre eux.

Jamais elle n'avait guidé ses rêves. Jusqu'alors, ils l'avaient ballotée d'un lieu à l'autre, d'une personne ou d'une situation à une autre. Sans difficulté, elle se comporta comme si son corps s'y promenait. Avec fluidité, elle se glissa à l'intérieur de son foyer et le trouva assis sur un siège, vêtu seulement d'un pantalon. Son immobilité l'incita à ne pas faire de bruit – une idée stupide, quand on savait qu'elle n'était pas physiquement présente. Dormait-il ? Elle s'approcha davantage.

Accoudé sur ses genoux, il observait le feu qui réchauffait la petite pièce, ses longs cheveux noirs animés par la danse des flammes. Leur lueur dévoilait et mettait en relief les nombreuses cicatrices qui couturaient son corps. Même au travers de son rêve, Carrie sentit ses joues chauffer.

La Turquoise (L'Hybride, Annexe 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant