Jour 15 : Vendredi 15 décembre 2006

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Les réverbères des sombres rues de San Francisco m'aveuglaient tout autant que le sourire de Suna. Je tentais de me montrer aussi enthousiaste qu'elle, mais vainement. J'étais incapable de feindre un sourire. Ça avait l'air de marcher d'une certaine manière puisqu'elle ne fit aucune remarque, enfin, pendant quelques instants. Elle avait sûrement espéré que ça s'arrange au cours de la soirée, mais non.

— Ça va ? s'enquit-elle.

— Oui, très bien, répondis-je en détournant mon regard tout en continuant de marcher à ses côtés.

— Non, ce n'est pas vrai.

Elle prit alors ma main dans la sienne et je ne pus m'empêcher de me tourner vers elle. Son visage tentait de montrer une certaine forme de joie malgré la tristesse naissante.

— Tu peux tout me dire...

— C'est toujours la même chose, lâchai-je dans un murmure.

Elle resserra sa main et je m'arrêtai dans ma marche, elle s'arrêta à son tour. Soudainement, toute forme de joie disparut de son visage, elle fut complètement dépitée.

— Ça ne s'arrange pas ? Même maintenant ? Même quand je suis avec toi ? demanda-t-elle naïvement.

— Ça ne me sortira pas de l'esprit... Tout peut m'y faire penser.

— Comment ça ? On se balade juste dans une rue...

— C'est là où tu te trompes, la contredis-je faiblement.

Elle mordit discrètement sa lèvre inférieure et baissa son regard. Je m'en voulais terriblement de lui dire les choses ainsi, mais malheureusement, c'était la vérité. Rares étaient les jours où je supportais encore la vie. Et quand l'envie de mourir disparaissait, l'envie de vivre ne revenait pas non plus. J'étais alors plongé dans cet état où je ne savais plus quoi faire de ma vie.

La voir dans cet état m'attristait mais ce n'était pas suffisant pour m'empêcher de faire quoi que ce soit. Je prétendais être maître de la situation, d'avoir fait un choix de moi-même... Peut-être que ce n'était pas le cas finalement. Parce que si c'était quelque chose de décidé, peut-être que j'aurais pu faire marche arrière alors que Suna tentait bien que mal de me faire comprendre l'importance de la vie.

Alors, ne sachant pas quoi lui dire sans la briser, je la pris silencieusement dans mes bras. Son souffle était saccadé et elle se retenait probablement de pleurer sur mon épaule. En la relâchant, je pris tendrement son visage entre mes mains. Je voulais lui dire qu'elle pouvait pleurer, mais je n'en avais pas la force. Maintenant, j'avais juste envie de rentrer chez moi et de faire comme si de rien n'était... Comme toujours.

Elle s'empara de ma main et nous reprîmes notre petite ballade sans dire un mot. D'habitude, je n'avais rien contre les silences, mais celui-ci était gênant. Celui-ci m'éloignait d'elle. Et j'avais désormais peur de le briser.

Heureusement, elle détourna complètement le sujet en s'approchant du marché du Noël, tentant de s'extasier sur les babioles en vente. Mais je voyais bien à son sourire que sa joie n'était pas totalement sincère. Je m'en voulais terriblement de la mettre dans un tel état.

— Ça ne te tente pas d'autres décorations pour ton sapin ? me demanda-t-elle en espérant installer une atmosphère bien plus agréable.

— Je croyais que je n'avais pas besoin d'en rajouter plus... Y a pas le nécessaire ?

— Il faut vraiment que je t'apprenne à profiter de Noël ? ironisa-t-elle.

— Je ne pense pas que ce soit utile.

Elle se tut un instant et pour une fois, il n'y avait pas le moindre sous-entendu glauque.

— Ce n'est pas ce que tu crois, repris-je. C'est juste que je n'aime pas Noël et j'ai pas vraiment envie de fêter ça... On ne le fêtait pas dans... ma famille...

Vraiment, ce mot avait été compliqué à prononcer, parce que mis à part les liens du sang, rien ne me rattachait à ces personnes.

— C'est juste que c'est plus bizarre pour moi de le fêter, poursuivis-je. Et ça fait pas mal de temps que j'ai remarqué que personne ne comprenait ce point de vue. Je suppose que la plupart ont eu des familles plus... sympathiques.

— Donc... ça te gêne par exemple qu'on soit ici ou qu'on parle de Noël ?

— Je ne vais pas non plus d'interdire tout ça parce que toi tu le fêtes et visiblement, c'est important pour toi, rétorquai-je immédiatement, mal à l'aise.

— Sauf que ça n'a pas l'air associé à de bons souvenirs chez toi, je n'aimerais pas te blesser...

— Tu n'es pas obligée d'agir comme si tu avais de la pitié, soupirai-je.

— Ce n'est pas de la pitié, c'est juste être compréhensif.

J'avais du mal à y croire et je repris ma marche. Elle fut déstabilisée aux premiers abords puis tenta de me rattraper, posant sa main sur mon bras, m'arrêtant alors.

— Cole, y a pas de mal à être compréhensif ! tenta-t-elle de se justifier.

— Pour moi, c'est juste de la pitié... Je n'ai pas envie que tu changes tes habitudes ou ta manière de vivre parce que j'ai vécu telle ou telle chose. Ça ne marche pas comme ça. Je m'adapte et point barre.

— Tu t'adaptes vraiment ? Est-ce que c'est de l'adaptation quand tu prévois de mourir ? Je crois pas que c'est ce que font les gens qui s'adaptent ! s'emporta-t-elle.

Elle entrelaça ses mains entre elles, comme si elle regrettait ce qu'elle venait de dire.

— Je suis désolée, lâcha-t-elle faiblement.

— Peu importe. Je suppose que tu as raison... Et je crois que je vais rentrer chez moi...

Elle semblait vouloir me retenir, mais ne fit rien. Alors, je m'éloignai d'elle, complètement perdu.

La Nitescence des PerdrixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant