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Neil regarda attentivement l'eau qui s'écoulait devant lui. Un fin ruisseau, comme un fil brillant sans fin, avait trouvé son chemin dans la forêt, à travers les rochers et les racines. Elle filait entre les pierres devant lui, formant une petite cascade, venant s'écraser incessamment un mètre plus bas pour reprendre sa course discrète et disparaître au fin fond des bois.  
Le garçon posa son fusil contre un arbre et s'approcha du filet transparent. Il était seul, et la lumière du soleil tamisée par le feuillage faisait refléter son visage dans l'eau, sa chaleur avait l'effet d'un baume apaisant. Il s'assit en tailleur face à la chute d'eau, et la regarda fixement.
Il se concentra, en faisant abstraction de ce qui l'entourait. Les oiseaux, le bruit du vent, la feuille qui tombait sur son dos. Et, pour la énième fois, il parvint à refaire ce qu'il ne parvenait pas à s'expliquer et qui défiait les lois de la nature: il dévia le cours de la cascade. Soudainement, comme si le temps s'était figé, l'eau s'arrêta en pleine chute, et forma une sphère translucide, flottante, devant lui. Il maintint le phénomène pendant une minute. Une veine palpita sur sa tempe droite, et d'un coup, la nature reprit ses droits et l'eau tomba dans une éclaboussure, et quelques secondes plus tard, le ruisseau coulait à nouveau tranquillement. 
Neil recula, et soupira. Cela faisait maintenant presque un an qu'il avait découvert qu'il pouvait agir sur des objets, et leur faire défier les lois de la gravité, où les déplacer un peu. Ça marchait avec l'eau, des petits morceaux de bois, des petits objets. Mais jamais dans une quantité plus grosse que la paume de sa main. Et puis jamais sur le vivant: impossible de déplacer un brin d'herbe, s'il n'est pas arraché avant. 
Le problème, c'était qu'il était le seul. Des presque dix-mille habitants de Feris, leur planète, il ne connaissait personne capable d'accomplir des choses aussi bizarres. Et puis, la Terre n'existait plus, mais de ce qu'il en connaissait, personne n'avait jamais fait pareille étrangeté. Cela relevait du domaine de l'imagination, des films, et des histoires, et c'est bien pour ça qu'on les racontait. Mais par hasard, il y a quelque mois, il avait senti, le plus naturellement du monde, qu'il pouvait déplacer une brindille, et l'avait soulevé de terre, sanas la toucher. Il avait paniqué, et posé des questions détournées aux scientifiques de Feris, qui lui avaient répondu en rigolant que même avec des modifications génétiques, aucun humain ne pouvait faire cela. C'était du domaine de la pure fiction. Alors, pour ne pas être pris pour un fou, Neil n'en avait parlé, encore moins le montrer, à personne, même pas à son frère, Seren, pourtant l'individu en qui il avait le plus confiance. Et il allait régulièrement dans la forêt, s'assurant avant qu'il n'était pas observé, et vérifiait qu'il ne rêvait pas, et re-testait ses pouvoirs. "Faut-il que j'en parle à quelqu'un?" se demandait t-il. Cette question lui torturait l'esprit. 
Neil leva la tête, pour voir la lumière du jour commencer à disparaître derrière les feuilles au dessus de lui, déclinant le monde en nuances de verts et de orange. Il reprit son fusil, et prit le chemin du retour. Demain, il partait avec Seren pour chasser, et il devait se reposer.

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