Miracle d'un musicien immigré

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C'était la deuxième nuit que nous passions dans ce lieu étouffant, froid, obscure et dénué de propreté. Nous étions une centaine entassés dans ce bidonville au-delà de la capital Parisienne. Combien de temps allions nous continuer dans cette misère incessante? Combien de temps continuerons nous à survivre? Je m'étais imaginé multiples plans de secours, afin de nous sortir de là. Et après tant d'efforts à me creuser les méninges, j'ai fini par trouver. Mon père et moi, avions fait un bout de chemin pour arriver jusqu'ici. Nous ne pouvions pas abandonner maintenant. Après les périples que nous avions traversés, nous devions continuer à vivre. En commençant par nous bâtir un futur dans ce nouveau pays, la France.
Des heures que l'on essayait de se renseigner afin d'obtenir les papiers qui nous permettraient de nous intégrer légalement, en vain. Mon père jouait de son krar dans les rues vastes et peuplés de Paris. Quelques passant déposait une petite pièce dans son grand chapeau noir, abîmé et salit par le temps. Parfois, les plus généreux y laissaient même tomber un billet. Mais Al-Bachara ne se souciait guère de ce qui finissait dans le fond jaunâtre de sa calotte. Il était emporté par les notes qui s'échappaient de son instrument. Tout comme une femme en particulier, qui depuis un moment, s'entêtait à le contempler. Elle était grande, mince, avec des épaules carrées qui lui donnaient un air sévère semblable à celui d'un homme d'affaire. D'ailleurs, ses vêtements n'en donnaient pas moins l'impression. L'intéressée devait faire partie de ses gens qu'on dit de la haute société. Je ne pouvais, moi non plus, détourner les yeux de mon père, sa mélodie me prenait au cœur, je l'avais toujours admiré. Je l'enviais de posséder un moyen d'extérioriser son mal être, sa colère et sa haine. Ce que je ne pouvais pas réaliser, car je n'avait pas encore trouvé ma vocation.

Quelques jours plus tard, nous avions recroisé cette bourgeoise, elle avait fait une offre à mon père qui allait pouvoir bouleverser sa vie. Suite à cette annonce, il avait apprit qu'elle chantait dans un groupe réputé des quartiers parisiens. Elle lui avait proposé de s'intégrer au groupe. Mon père avait hésité un instant, prenant le temps de bien réfléchir et avait finalement accepté. Seule question qui persistait ; qu'allait il advenir de moi ? La miraculeuse dame avait là aussi, trouvé une solution. Son appartement bien assez grand pour nous accueillir tous deux, allait être notre première maison ici. Les premiers jours, nous avions retrouvé l'appétit, de vrais lits, ainsi qu'une bonne hygiène de vie. Mais plus les mois avançaient et plus je me rendais compte qu'à quinze ans, il était plus difficile d'entrer dans la société. Plusieurs fois je mettais posté devant un lycée et je jalousais ces gens qui y entraient aussi facilement. Mais si seulement il n'y avait eu que ça. J'avais le sentiment que mon père s'éloignait sans même s'en rendre compte. Mes angoisses ont finit par devenir réelles. Ces deux adultes qui m'avait jurés protection ne m'aidaient plus. La chanteuse ne faisait plus attention à moi et à ce que j'allais devenir. De temps à autre, lorsque j'étais pris de cauchemar ou d'insomnie et qu'elle rentrait de soirée, tard dans nuit, je la regardais boire sa tasse de romarin, un petit magazine à la main, tandis que j'étais recroquevillé sur le canapé. Elle ne me jetait pas un seul regard. Nombreuse fois, l'idée que je puisse être mort m'a traversé l'esprit, mais la réalité me rattrapait toujours et je retournais à ma chambre, dans laquelle je ne me sentais pas chez moi. Nous n'étions plus chez nous depuis bien des mois. La tristesse commençait à resurgir. L'espoir que j'avais cru possible, celui de prendre un nouveau départ, s'avérait être presque impossible. Al-Bachara, mon père, me portait toujours dans son cœur, je le voyais, le ressentais, mais il faisait beaucoup moins attention à moi. Ce que j'avais souhaité par dessus tout, était l'idée qu'il fasse les papiers nécessaires pour que je puisse rester au près de lui, mais chaque fois que je tentais d'aborder le sujet, pourtant très important et il en était conscient, la charmeuse d'artistes l'embarquait avec elle dans son monde musicale, dans lequel il se plaisait temps. J'étais heureux pour lui, à aucun moment, pas une seule seconde, je ne lui en ai voulu d'être aveuglé par sa musique. Après tout, c'était comme ça qu'il aimait vivre.
Un jour, durant l'automne, lorsque les couleurs rougeâtres du crépuscule annonçaient l'aube, j'avais marché durant des heures, sur les bords de la Seine, cherchant un moyen de parvenir à m'intégrer, toujours légalement, lorsque, par inadvertance, j'avais bousculé un jeune homme, il avait les traits tirés et un air fatigué. Je m'étais poliment excusé, mais l'homme agissait, contrôlé par l'alcool qu'il avait dû boire. Il m'avait violemment attrapé par le col, de sorte que mes pieds ne touchaient plus le sol. Puis lorsque j'étais retombé à terre, il m'avait rué de coups, dans le ventre, le visage et le bassin. Je n'avais rien fait, peut-être avais-je eu peur? Peut-être que j'étais épuisé, que je ne voulais plus de cette vie, je ne désirais qu'une seul chose, c'était de rentrer en Érythrée. Je me rappelle avoir souhaité qu'il finisse par me tuer. Fort heureusement la police est intervenu à temps, sortit de nul part. À la suite de cet événement, qui m'a marqué à tout jamais, le jeune alcoolisé avait été incarcéré pour la nuit. Un flic m'avait demandé si je souhaitais porté plainte et également si j'avais mes papiers. Mais je n'avais rien de tout ça, à ce moment là je m'en étais mordu les doigts, plus qu'habituellement. Les visions d'horreur ont ressurgit, des scènes de guerre épouvantables, femmes, enfants et hommes gisant dans des marres de sang. Les hurlements, les tambours incessants des armes à feux. L'agent avait insisté, je m'étais tu, faute de révéler une vérité qui me condamnerait. Mais il avait compris, ce que j'étais, un immigré. Les larmes m'ont montés aux yeux et ont envahît mes joues. J'ai éclaté en sanglot, le policier, debout devant moi, n'avait fait paraître aucune émotions, aucune pitié.
C'est la chanteuse, Anna, qui est venu me récupérer au poste. Où était passé mon père? Qu'est ce qui l'avait bien pu l'empêcher de venir chercher son fils? Lui était il arrivé quelque chose? Toute sortes de questions m'avaient effleurés l'esprit, mais aucune ne s'étaient avéré être la bonne. A peine avais-je franchi le seuil de l'appartement, qu'étaient venues à mes oreilles, les notes de son excuse. Il avait préféré joué de son instrument, plutôt que de courir au secours de son enfant tout juste tabassé. Je n'avais pas réagi, j'étais resté sur place, choqué, étonné et surpris de le voir là, bercé par sa propre mélodie et presque inconscient de ce qui l'entourait.

Mon jour était finalement arrivé, je devais retourner d'où j'étais issu. Mais cette fois j'avais fait le retour dans mon pays d'origine, seul. Cela faisait maintenant un an que la guerre était terminée. Les séparatistes érythréens ont finalement gagnés la guerre d'indépendance. La tension est resté stagne, mais rien ne pouvait m'empêcher de retrouver mes origines. J'en avait eu terriblement besoin. Et même si je quittais mon père, je ne regrettais en rien de partir, l'un d'entre nous s'en était bien sorti. Il resterait là, accoudé aux bras des parisiens, des danseuses et des instruments. Ce voyage, cette expérience de la vie, l'avait changé, énormément, il s'était attaché à son krar, plus qu'à n'importe quel autre personne sur cette terre. Son instrument reflétait, le miracle qui l'avait sauvé de ce périple.
Nous avons continué à communiquer, chaque mois, une lettre atterrissait dans ma boîte. Il m'écrivait ses souvenirs, ses plus beaux moments, ses peines comme ses joies. Chaque mots étaient une note qui me comptait sa vie là-bas. Il était heureux, en bonne santé et en sécurité. Au fond, c'était tout ce qui m'importais, son bonheur.

Miracle d'un musicien immigréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant