L'année du Singe de Feu.
Neuf jours seulement après Donghzi, le solstice d'hiver, la chèvre de bois fera place au singe de feu avait dit à Liu Chen occupée à faire ses bagages, sa mère morte d'inquiétude. Elle l'avait suivie dans tous ses préparatifs le cœur serré jusqu'à l'adieu final devant la police des frontières de l'aéroport où Liu Chen l'avait embrassée lui demandant de ne pas s'inquiéter pour elle.
Liu Chenest originaire de Shanghai. Elle est belle ; très belle, grande etcharpentée comme une ourse avec des seins ronds et hauts. Le plipalpébral de ses yeux démesurément bridés forme un croissantqui vient se prolonger loin jusqu'au bord de l'arrête de sonbeau nez busque : Liu Chen est une long nez mais qui serait chinoise.Sa peau blanche et transparente épouse les formes saillantes de sespommettes et vient les mettre en relief sans les dérober au regard.Une femme fatale de 24 ans.
Face à̀ la vitrine qui renvoie son reflet, la sculpturale Liu Chen dépasse de plus d'une tête le groupe de frêles et gracieuses japonaises qui se trouvent devant elle.
Son prénom signifie « celle sur qui s'appuie le monde ». Elle vient d'arriver à̀ Paris pour réaliser son rêve de travailler pour les imports exports d'une grande marque de luxe ; mais pas n'importe laquelle ; une marque ultra pointue, ultra tendance, à l'image de sa ville natale, Shanghai, loin du dejà̀ vu d'un Vuitton ou d'un Chanel — soyez assure Mr Lagerfeld du respect de Liu Chen pour son chic éternel et pour le talent sans cesse renouvelé de son directeur artistique ; mais honte aux compatriotes de Liu Chen qui lui rendent trop souvent un bien insipide hommage.Elle est snob aussi ; et tellement désabusée malgré son jeune âge!Sans qu'aucun évènement de sa vie ne vienne réellement expliquer ce trait de caractère.
Elle va travailler pour cette marque « géniale », ainsi la qualifie-t-elle, Jacquemus. Elle a vu le créateur de la marque, Simon Jacquemus, le plus bel homme qui lui ait été donné de voir, lors de l'ouverture de la boutique Balenciaga à Shanghai. Depuis, elle l'a revu sur les Selfies qu'il prend dans l'ascenseur menant à son bureau et qu'il poste sur sa page Facebook. Elle rêve d'un homme de cet acabit pour elle-même et plus prosaïquement, espère rencontrer Simon Jacquemus dans son nouvel emploi à Paris ; lui qui à tout juste son âge — et l'incroyable aura sexuel d'un Ralph Laurent jeune ; ou même d'un Ralph Laurent vieux— est à la tête de sa propre maison de couture, peut-être, la plus pointue et,conséquence logique de son point de vue, la plus encensée du moment: un homme en place sans mérite ne serait-il pas un géant en habit de nain?
Bien sûr qu'elle va le rencontrer! Comment ne la rencontrerait-il pas? Elle qui va être responsable de l'expansion de la marque vers l'empire du milieu! Le plus vaste marche du luxe au monde face auquel tous les longs nez s'inclinent maintenant.
A Paris, Liu Chen voit ses compatriotes en robe rouge prendre leurs photos de mariage devant la pyramide du Louvre, le ventre rentre, les épaules et la tête penchée vers l'arrière. Lorsque fatiguée de ce spectacle, elle traverse la rue de Rivoli, elle les retrouve faisant des Selfies dans la queue d'Angelina op elles iront boire des chocolats chauds hors de prix qu'elles prendront en photo avant de refaire un Selfie. Liu Chen ne veut pas être une chinoise à Paris. Elle n'aime pas tellement Paris de toutes les manières et Shanghai lui manque terriblement. Elle vit avenue Georges Mandel dans une chambre chez l'habitant au charme désuet savamment travaillé pour la clientèle chinoise ; ça la met en colère.Hormis le plancher qui, trait commun à tous les appartements deParis, la porte à une indulgence teinte d'admiration, on y trouve un bassin de toilette en faïence pose à même le sol ; des reproductions de tableaux impressionnistes accrochées aux murs; et une coiffeuse qu'on dirait tout droit sortie d'un film de Renoir ou de Bunuel sur laquelle est posée une collection de rouges à lèvre Chanel vides ; une chambre cédée par une de ses concitoyennes rentrée au pays, trouvée sur Internations.org. Liu Chen en a presque la nausée. Sans parler des draps en coton blanc rigide qui lui irrite la peau nuit après nuit et qu'elle regrette de ne pas pouvoir remplacer par ceux de soie fine qu'elle a laissé à Shanghai. Sa ville lui manque tellement, la moiteur de ses nuits lacustres, la lumière vraie de ses néons blanc aux reflets verdâtres, quand les lumières incandescentes de la tour Eiffel toute proche, destinées aux touristes chinoises comme elle,viennent lui piquer les yeux une fois par heure tous les jours de dix-huit heure à̀ une heure du matin). Et Simon Jacquemus qu'elle n'a toujours pas rencontre! Il a été en voyage d'affaire enItalie la semaine dernière puis dans sa famille à Marseille.