Benjamin conduit les deux copines dans un garage du XIème réaménagé en loft entièrement dédié à la petite balle blanche. Des jeunes femmes ravissantes y tiennent la raquette en mini-jupe The kooples et robe courte Sandro. Elles ont des coiffures faussement négligées, à peine brossées, obtenues par l'application de quelque reflet discret chez leur coloriste, d'un Pre Blow Dry Thickening Spray puis d'un savant roulé détaché opéré sur cheveux mouillés puis secs après exposition à l'air libre. Les jeunes hommes se démarquent par une apparence soignée. Des néons jaunes sont disposés à la verticale sur chacune des colonnes de l'ancien garage dont les poutres en bétons et le système de guidage des poulies ont été conservés. Des canapés club sont disposés çà et là entre les murs et les bars en Formica. Liu Chen se croirait dans un tripot de Macao. Presque dégoutés à l'idée d'ingurgiter un verre de plus quand ce jeu passionnant les attend sous la forme d'une petite balle blanche immobile sur une table inoccupée. Les trois acolytes se mettent en quête d'un quatrième joueur, ce qu'ils trouvent en la personne d'un de leur voisin de table de ping-pong.
Liu Chen entame par un service lifté, Benjamin intercepte la balle d'un revers qui est ratée par leur coéquipier de fortune. Elle demande un temps mort pour changer sa raquette contre une combi avec une face picots et une face anti-top. Benjamin commence à comprendre à qui il a à faire. C'est son tour de servir et elle leur donne à voir un ace. Après un service bombe miraculeusement intercepté par Benjamin, Liu Chen réussit un flip frotté auquel benjamin répond par un topspin, renvoyé par un simple revers de Liu Chen que Benjamin échoue à renvoyer. Liu retente un service bombe qu'elle rate. Benjamin enchaîne par un superbe service lancé, ce service souvent qualifié de chinois, puis un topspin sur le topspin d'interception de Liu Chen qui lui répond encore par un top spin finalement contré par un bloc amorti. « C'est donc que Liu Chen peut être heureuse autre part qu'au lit » pense Benjamin.
La partie prend un rythme endiablé, les deux adversaires sont totalement absorbés. Liu Chen rebondit sur ses sandales à pompons, déformant irrémédiablement sa robe Jacquemus, enchaînant smash, volés et sidespins. Ivy Ke, totalement oubliée par Benjamin et dépassée par le jeu, sort assez rapidement de la partie tandis que son adversaire part rejoindre son équipe française moins élitiste. Le Ping Pong international n'est-il pas à tel point dominé par la Chine que les instances organisatrices ont craint un désintérêt du public pour des compétitions à l'issue trop prévisible ?Liu Chen réussit une balle sur ventre pongiste qui lui donne la victoire. Elle est hilare, elle pose ses pieds au sol, reprend son souffle, s'approche calmement de Benjamin, se tourne vers Ivy Ke. Le bar ferme. Liu Chen doit absolument prendre le taxi avec son amie, « que va-t-elle imaginer sinon » pense Liu Chen figée dans une expression qui maintient ses yeux fixes et écarquillés, ses lèvres closes et légèrement poussées vers l'avant et qui lui aura en définitive permis de monter dans le taxi sans avoir croisé le regard de Benjamin. Elle descend du taxi avenue Georges Mandel après avoir salué sa copine : « à très vite » se disent-elles selon une expression qu'elles ont entendu chez les français, entre deux bises sonores. Elle ouvre la porte d'entrée embuée de sommeil et entame lentement la montée qui la conduira à sa chambre ; quand on lui saute dessus ; elle n'a pas attendu le cliquetis qui indique que la porte est fermée avant de monter. C'est Benjamin, il lui signale immédiatement pour qu'elle ne se mette pas à crier. Ce type est fou. Liu Chen est excédée, il essaye de l'embrasser dans le cou en lui chuchotant « c'est moi, c'est Benjamin » mais elle se débat, il lui a fait trop peur, elle monte les marches en se dégageant de son étreinte mais il grimpe d'une marche à chaque fois qu'elle se dégage. Elle a gravi pas loin de deux étages de la sorte, ça lui rappelle un documentaire animalier où une chienne des rues sortit de la fenêtre pendant laquelle elle peut s'accoupler mais en portant toujours les symptômes, est systématiquement rattrapée par un mâle qui l'empêche d'avancer, même de quelques centimètres. Benjamin ne va quand même pas la violer ? Non il ne va pas la violer car Liu Chen va cesser de se refuser à lui. La peur est passée et l'occasion est trop belle. Et la Liu Chen qui vit à Paris n'est pas de ces filles qui se font prier.
Liu Chen se réveille dans sa chambre recroquevillée sur le lit dont les draps n'ont pas été défaits. Benjamin s'est levé au petit jour, prenant quelques secondes pour s'étirer de tout son long dos au lit. Liu Chen, morte d'aigreur par anticipation, a saisi ce moment d'inaction pour lui demander son numéro de téléphone, feignant de ne pas comprendre ce qui était en train de se passer. Benjamin qui n'aime pas être trop frontal, a répondu « Oui oui bien sûr j'allais te le donner » pensant qu'elle n'aurait de toutes manières pas le courage de l'utiliser. Liu Chen le poursuit de son regard le plus venimeux tout le long de sa lente et soigneuse préparation. Benjamin ne sort jamais sans s'être passé de l'eau sur le visage, avoir frotté ses dents avec un peu d'eau claire et défroissé son pantalon de manière à se rendre décent. La haine de Liu Chen vient alimenter par une sorte de rétrocontrôle négatif sa désinvolture. Elle n'est même plus écœurée, elle est comme anesthésiée. Ce type est juste malade, il souffre de stéréotypie par déséquilibre énergétique ! Liu Chen n'est pas dupe, dans l'axe central de sa vie psychique, son cœur n'est sont pas capable de créer une harmonie entre, le Zhi et le Yi, ses actions prennent le dessus sur ses pensées ; il veut Liu Chen mais la jette à chaque fois ! S'il n'en tenait qu'à elle, elle disperserait les mucosités de ses poumons et de sa trachée, évacuerait les toxines de la corne de sa peau et de ses pores, tonifierait son sang et réduirait ses excès de chaleur de manière à éclairer ses choix en rééquilibrant plusieurs de ses entités psycho-vicérales.
Absorbée dans ses pensées, enroulée dans ses draps au bord du velux qui donne sur la tour Eiffel, Liu Chen est en retard ; elle doit immédiatement se rendre à son travail. C'est la fin de la période estivale et Simon Jacquemus est de retour. Son assistante a planifié une rencontre avec Liu Chen dans l'après-midi. Il a prévu de la rencontrer pour le café, elle est tellement contente.