Chapitre 4

33 3 5
                                    

La jeune femme s'appuie contre le mur. Ses mains tiennent son ventre, elle le caresse, lui murmure des mots doux. Elle aimerait tant que son bébé patiente un peu, qu'il ne naisse pas tout de suite, pas dans cette situation, pas dans ce pays, pas dans ces lieux. Elle aimerait pouvoir lui garantir un avenir, mais comment faire alors qu'elle n'est même pas sûre du sien ?

Une autre contraction vient de se déclencher. Celle-ci est pourtant proche des autres mais la future maman ne veut pas alerter ses bourreaux. Elle veut profiter au maximum de son enfant, de la presque intimité qu'elle partage avec lui. Ainsi elle continue de lui parler et lui suggère de patienter, de se calmer.

Les contractions se rapprochent toujours plus et sont d'autant plus douloureuses, elles irradient jusque dans ses reins. Sa respiration devient sifflante, ses mots doux se transforment en gémissements et même des cris passent la barrière de ses lèvres. La jeune femme réussie pendant plusieurs heures à rester discrète, mais jusqu'à ce qu'un cri un peu plus fort que les autres alerte son geôlier.

« ¿ Qué pasa ? dit l'homme en ouvrant la cellule. »

La jeune femme ne lui répond pas, elle n'en a ni l'envie ni la force. Mais l'homme ayant déjà vu d'autres femmes dans le même état, sait qu'elle est en train d'accoucher. Il connait la procédure qu'il doit suivre, donc sans hésitation il l'emmène dans la salle spécialisée.

Il alerte un médecin qui part rejoindre la jeune femme, et réquisitionne deux prisonnières pour l'aider en tant que sage femme.

La porte de la salle est fermée, mais les cris de l'accouchement traversent les fines cloisons.

Quelques minutes plus tard un cri de nourrisson traverse le couloir. La porte s'ouvre et le médecin sort, sa mission étant terminée. Il murmure juste en passant devant le geôlier :

« Es una niña.»

Puis il repart comme s'il ne s'était jamais rien passé. Il se dirige probablement dans une autre salle de torture. Et déjà au loin les cris perçants d'une autre femme se font entendre. 

La jeune mère en les entendant, aimerait tant aller aider cette femme dans la détresse, ou faire quelque chose pour elle. Mais elle ne peut pas, alors qu'elle même parvient à peine à se rétablir de son propre accouchement. Elle se sent vide. Pourtant ces cris de douleur lui arrachent le cœur.

« ¡¡Ayyyyyyy !! No puedo, no puedo, quiero morir...»

.

.

La jeune femme accompagnée des deux prisonnières pleure de joie d'enfin pouvoir tenir son enfant dans ses bras et celui-ci profite de la chaleur et du lait de sa mère. Elle ne sait pas comment l'appeler, c'était son mari qui devait donner le prénom, alors pour le moment se sera "Niña".

.

.

Le cri du bébé déchire le silence de la ESMA. Il pleure la chaleur de sa mère disparue, il pleure la nouvelle odeur qu'il ne connaît pas. Il pleure la pire séparation de sa vie, après les deux jours de bonheur passé dans les bras de celle qui l'avait porté pendant neuf mois.

.

.

Elle souffre de son absence, de sa propre impuissance. Mais pourquoi donc lui ont-ils enlevé son bébé ? La souffrance et la torture qu'elle subit tous les jours n'est-elle pas suffisante ? Et que vont-ils faire d'elle maintenant ?

.

.

Haletante et en sueur, je me réveille, totalement tétanisée. Ce troisième rêve sonne comme le pire, il me glace le sang, rien que d'y repenser j'en ai les frissons.

Je n'ai aucune idée de l'heure qu'il est, mais le soleil n'est pas encore levé. Je décide alors de prendre mon ordinateur et d'entamer des recherches, tant que mes souvenirs sont encore frais. Je tombe sur un article qui m'a l'air très intéressant sur le site "vice.com"

[...]"Ils utilisaient une méthode de torture particulièrement atroce qu'ils appelaient « picana ». Elle consistait à envoyer de très fortes décharges électriques à l'aide d'une cuillère en bronze qu'ils enfonçaient par la suite dans le vagin des femmes enceintes. Une fois que les femmes avaient accouché, on prenait leurs bébés et on les confiait à des familles de militaires." 

Je ne peux pas continuer, je ne cesse de repenser à cette femme qui cette nuit là a donné la vie, et aux cris agonisants d'une autre. Peut-être était-elle torturée ainsi, à la méthode de la "picana". Ce n'est pas humain ! Comment ces militaires ont-ils pu infliger de telles souffrances à des êtres humains, à des femmes ? 


Rédigé par Lisa

Niños Desaparecidos (fr)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant