Chapitre 8

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Encore et encore, je remue mon thé, perdue dans mes pensées et ne cessant de me demander qui étaient les personnes de mon dernier rêve. Dans tous les cas, il y avait deux femmes et ensuite deux hommes. Et ces "vuelos de la muerte", qu'est-ce que c'était ? 

Je décide d'aller voir sur internet. Et dans les premiers résultats, un article du journal Libération  explique la recherche d'un photographe sur les avions de ces vols de la mort.

Il y dit : «Tuer,c'est toujours horrible. Mais ce qui me choque par-dessus tout, dans ces crimes, c'est le mensonge : on disait aux prisonniers qu'on allait les transférer dans des fermes de Patagonie, on leur injectait un tranquillisant pour qu'ils ne se rebellent pas en leur disant que c'était un vaccin. Et puis, il y a la dissimulation des meurtres qui me révolte aussi : c'est pour faire disparaître les corps qu'on les jetait dans la mer.» Tout ce que ce photographe explique, rejoint la totalité de mon dernier rêve. C'est effrayant le fait que les militaires aient pu faire disparaître autant de corps sans presque jamais laisser de trace.

Le plus effroyable, est sans doute le fait qu'il n'y ai qu'Adolfo Schilingo qui ait témoigné. Alors qu'ils devaient être des dizaines et des dizaines de militaires et pilotes au courant de ce massacre .Comment peuvent-ils vivre sans remord, sans aucune pensée pour les victimes ou même leurs familles ? La cruauté humaine m'étonnera toujours.

Je termine la lecture de cet article, toujours autant bouleversée par la cruauté et l'horreur que devaient subir les prisonniers de cette dictature ainsi que les séquelles irréparables qu'ils doivent porter au quotidien.

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Parfois je me demande si ma quête d'argent et de pouvoir n'est pas allée trop loin.

J'ai fait des choses horribles c'est vrai, mais c'était pour protéger ma femme. Et j'ai même pu lui donner l'enfant qu'elle avait toujours espéré mais ne pouvait avoir. Videla nous avait promis de belles choses à nous, les militaires. Après tout nous sommes une famille et on ne s'abandonne jamais. L'armée c'est un peu la famille dont on a toujours rêvé et qui nous soutient. Et notre chef nous a soutenu, nous a offert des cadeaux, des privilèges et de l'argent. Il était bon et savait contrôler ses opposants.

Étant militaire j'ai tué. En même temps, les militaires vont à l'armée et souvent à la guerre et lors de la guerre, il faut tuer. Sauf que je n'ai pas tué que des militaires, j'ai aussi tué des civils. Parfois d'une balle, d'autres fois de blessures et même en les jetant d'un avion (mais dans ce cas, ils sont morts noyés donc ce n'était pas vraiment de ma faute).

Souvent j'ai participé à des séances de torture. C'était grisant d'entendre les cris des hommes, des femmes, d'avoir leurs souffrances et même leurs vies entre mes mains. Et ce dont je suis sûr, maintenant, c'est que sous la torture, l'Homme est faible. Il peut avouer tellement de choses, même ce qu'on n' avait pas demandé. Il faut juste trouver son point faible. Tout le monde a un point faible et une fois trouvé, il est tellement facile à exploiter.

Je me souviens aussi avoir séparé des femmes de leurs enfants à la naissance, mais cela n'avait pas d'importance, c'était des enfants de traîtres. Et nous, militaires et autres citoyens argentins, allions mieux les éduquer et leur inculquer les vrais fondements de notre pays. Ils n'auraient pas à savoir qu'ils étaient en réalité adoptés, comme ma chère fille.

En fait, je n'ai jamais vraiment parlé de ça, même à ma femme. Elle sait que je suis impliqué, mais pas à quel point. Et dans notre Armée, personne ou presque n'en a jamais parlé. Parce que nous sommes une famille, que c'est comme un pacte qui nous lie, une alliance secrète que l'on a passée en s'engageant. 

En fait, je préfère garder ça pour moi. Personne n'a besoin de savoir ce que j'ai fait. C'est mon petit secret. Et il est bien gardé.




Rédigé par Lisa

Niños Desaparecidos (fr)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant