My Parisian

12 - Megan

Megan n'est pas rentrée tout de suite. Elle a vagabondé dans les rues de Montpellier, se laissant séduire par les endroits les plus vides et inconnus de la ville. Elle essaye de s'y perdre, sans succès. Elle n'arrive pas à comprendre pourquoi elle se met dans un état pareil. Bien sûr, elle se sent atrocement stupide et songe avec amertume que dans son dos ses collègues ont du bien rigoler. Mais il y a autre chose. Comment Camille a-t-elle pu lui mentir en la regardant dans les yeux ? Pourquoi se sent-elle à ce point trahie ?

Son téléphone sonne et elle l'attrape par pur réflexe avant de voir le nom de Zoé s'afficher à l'écran. Elle fronce les sourcils. Ce n'est pas du tout le moment et elle laisse le répondeur prendre la relève.

Elle ne sait pas vraiment ce qu'il se passe avec Zoé ces derniers temps mais elle sent comme un gouffre qui s'est installé entre elles. La jeune femme est telle qu'elle l'a toujours aimée, mais, elle ne sait pas... Il lui manque quelque chose. Elle a besoin de passion, elle a besoin d'autre chose. Quelque chose de fort qui remue les entrailles et met le cœur à l'envers. Oui, c'est ça. Son écran s'allume à nouveau : c'est le répondeur qui lui signifie qu'elle a un nouveau message. Elle secoue la tête et le glisse dans sa poche, visiblement pas d'humeur à parler avec sa petite-amie.

A cet instant, elle se sent coupable. Elle ne peut décidément pas tourner le dos à la femme qui partage sa vie depuis plus de cinq ans. Il est trop tard pour faire machine arrière.

Elle prend de nouveau son téléphone et consulte son répondeur. Zoé lui demande à quelle heure elle compte rentrer. Megan roule des yeux. Elle ne peut pas envoyer un sms pour ça ?

N'ayant pas envie de rentrer tout de suite, elle saisit un message banal : "Je suis occupée, je rentre ce soir" avant de soupirer en espérant que la jeune femme n'insistera pas. Fût un temps, son numéro était enregistré sous un surnom amoureux, puis sous "Ma Zo' " puis "Zo" et pour finir "Zoé". Elle s'était jusque là convaincue qu'avec l'âge on perd les petits surnoms mais aujourd'hui elle a la conviction que ça n'est pas la seule explication. Elle s'appelle toujours "Amour" dans le téléphone de sa compagne qui n'a pourtant qu'un seul an de moins qu'elle. Mais elle, elle m'aime à la folie...

Megan secoue la tête pour tenter de chasser l'idée qui lui traverse l'esprit et s'enferme entre les murs protecteurs de sa raison. Je traverse juste une phase creuse, ça reviendra...

Mais il n'y a rien à faire, son agitation la trahit. Dans l'espoir de s'occuper l'esprit, elle vagabonde jusqu'à la Comédie pour filer au Polygone, descendre les escaliers et faire le chemin jusqu'à L'Ecriture, un magasin où paradoxalement, elle achète de quoi dessiner. Un carnet, un crayon de papier, un stylo et un feutre noirs plus tard, elle rejoint la Place de Thessalie et entreprend de se vider la tête ici. Elle commence d'abord par esquisser la fontaine qui se trouve devant elle mais cette image n'allume rien en elle, si bien qu'elle prend la liberté de dessiner une silhouette qui se serait adossée contre le bord. Elle fronce les sourcils, absorbée par son travail, tandis que sa main s'agite à ajouter des détails. On y reconnaît alors clairement une jeune femme presque de profil, les bras croisés sur sa poitrine, le regard au loin, les cheveux décoiffés par le vent. Alors que Megan rectifie quelques plis sur les vêtements, elle s'arrête soudain, lève la tête pour s'assurer qu'elle ne dessine pas une inconnue puis tend les bras pour voir son dessin d'un peu plus loin. Et là, cela la frappe de plein fouet.

Dans la façon de se tenir, dans les vêtements, dans l'air rêveur, elle reconnaît parfaitement Camille Jenson.

_ Merde ! s'écrie-t-elle en refermant le carnet d'un coup sec. Mais qu'est-ce qui me prend ?

Une dame qui promène son chien tourne vivement la tête vers elle et s'empresse de changer de pelouse pour s'en écarter. Tant pis, Megan n'est pas là pour faire du social. Elle a la tête dans les mains, occupée à se masser les tempes.