6 - Camille

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Pendant que Jade passe sous la douche, je rédige le SMS à Matthieu, que j'efface au moins cinq fois avant de le réécrire et d'hésiter encore. Au final j'opte pour une version totalement bâteau dans laquelle je lui dis que ne pouvant pas lui donner ce qu'il attend de moi je préfère que l'on prenne nos distances, qu'il n'y est pour rien mais que c'est mieux ainsi. Comme Jade disait : un comportement d'adolescente. Mais c'est toujours mieux que rien.

Je me dirige ensuite dans la cuisine pour commencer à faire le repas. Entre nous, rien de bien compliqué : des pâtes à la carbonara feront très bien l'affaire. Classique. Je mets l'eau à bouillir et dresse la table, pour une fois nous mangerons dans la cuisine au lieu d'être affalées dans le canapé.

Le repas est prêt lorsque Jade me rejoint, les cheveux entortillés dans une serviette. Elle s'assoit, renifle l'odeur qui tourbillonne, pose les yeux sur la plaque électrique et ses yeux s'illuminent.

_ Tu veux pas m'épouser ? demande-t-elle sans quitter le plat des yeux.

_ Mmh, je pense que n'importe qui est capable de te faire des pâtes mon chou. Mais promis si dans dix ans on est toujours célibataires on pourra y réfléchir.

Je pose la poêle sur le dessous de plat et la sers généreusement. Son ventre gargouille, m'arrachant un rire surpris. Jade et les pâtes à la carbonara, c'est une grande histoire d'amour. Il n'y a rien de tel pour lui faire plaisir.

On discute un peu de tout et de rien, l'ambiance est plus légère que ces derniers jours. Ça nous fait du bien, je pense, de passer un moment comme celui-là. On se remémore des souvenirs de collège puis de lycée ; nos premières vacances ensemble ; nos retrouvailles après son déménagement ; les fou-rires qu'on a pu se prendre toutes les deux. Jade rit beaucoup et ne cesse de me lancer des "tu te souviens quand...?" qui lui font briller les yeux de malice. J'aime la voir ainsi, même si la plupart des choses qu'elle dit me font passer pour la dernière des demeurés ("quand tu as mis tes fringues à la poubelle et le shampoing vide dans la corbeille à linge ?" ; "quand on a passé une demi-heure à chercher ton aspirateur avant que tu te souviennes de l'avoir jeté ?" ; "quand tu as filmé avec le flash des mecs en boîte tout en niant les faits ?").

Moi je me contente de lui rappeler sa période love-to-love avec le sosie de Justin Bieber en troisième, ce qui la fait aussitôt s'étrangler. C'est un souvenir qu'elle n'apprécie pas vraiment qu'on lui rappelle tellement elle en a honte. Elle ne "l'aimait" que parce qu'il était "beau" et elle le lui a clairement dit dans le plus grand des calmes devant au moins la moitié du collège. Difficile pour lui de garder la face après s'être fait briser le cœur devant cent-cinquante élèves, et difficile pour elle de se sortir de cette réputation de cœur de pierre. 

Elle me relance plus sagement sur des trucs débiles que l'on a fait ensemble ou sur de beaux moments que l'on a passé.

L'heure a tourné vraiment vite et il est déjà tard. Plutôt que d'aller regarder un film nous allons nous coucher directement. Comme je ne possède pas de chambre d'amis, elle dort une fois de plus avec moi. C'est pas comme si nous étions habituées depuis toujours, même si elle est très pénible la nuit. Elle ne cesse pas de bouger, de me pousser, de parler dans son sommeil et de prendre la couverture en otage. L'avantage c'est qu'à force de la supporter, je peux dormir avec absolument n'importe qui peu importe l'étrangeté des habitudes nocturnes de la personne. Vu les positions qu'elle prend parfois, je me dis que plus rien ne peut m'étonner.

*

Vendredi arrive bien vite, Jade est enfin rentrée chez elle et moi je me rends au rendez-vous que l'on s'est donné avec mes collègues. On se rejoint donc, comme nous l'avions dit, place de la Comédie où nous discutons quelques minutes avant de nous décider à remonter les ruelles pour trouver un bar où le prix des consommations ne liquiderait pas notre salaire.

My ParisianOù les histoires vivent. Découvrez maintenant