Le trajet n'est porteur d'aucun son, aucun des deux hommes ne m'adresse la parole, ils ne trouvent sûrement pas nécéssaire de me rassurer.
Le temps dehors est très brumeux, la ville semble vide, et avoir pour seuls résidants les fantômes du passé.
La bâtisse qui se dessine face à moi au milieu du brouillard ressemble à un ancien manoir, comme ceux que l'on peut voir dans les films d'horreurs d'Hitchcock.
Une femme nous attend devant la porte, son regard de vieille sorcière me donne tout sauf l'envie de la rejoindre, mais quand le petit Gollum m'ouvre la portière je n'ai plus le choix, je suis obligé d'y aller.
La montée des marches m'a demandé 12 efforts, oui j'ai compté.
Ma bouteille trainée derrière moi fait un bruit d'enfer en cognant sur chacune des marches pendant mon ascension, ce qui m'a valu le regard meurtrier de la vieille femme devant la porte, elle ne m'a vraiment pas l'air commode, travailler dans cet endroit ne doit pas franchement rendre heureux.
Une fois mon objectif atteint je ne me sens toujours pas en sécurité, surtout quand la sorcière me parle de sa voix rauque :
- Venez, le médecin vous attend.
Elle pousse la porte afin d'entrer, mais au lieu de la suivre je reste figé, le hall d'accueil est très lumineux et accueillant, mais une autre sorcière est derrière un bureau d'accueil. J'ai vraiment l'impression d'entrer dans la maison du mal.
- Vous attendez la nuit pour entrer ?
Je ferais bien d'y aller avant que la vieille femme me récupère par la peau des fesses.
- Je m'appelle Giselle, je suis l'infirmière au service du médecin de cet hôpital, je serai là pour t'accompagner à tous tes rendez-vous médicaux.
- Et où est-ce que vous m'emmenez là maintenant ?
Elle me fixe avec ses yeux de sorcière comme si je la dérangeais, et que je ferais bien d'arrêter mes questions.
- Je vous l'ai déjà dit, le médecin vous attend.
Elle reprend sa route sans m'adresser un mot de plus.
Nous ne croisons aucun patient dans cet hôpital, tous les couloirs sont vides, le fait qu'il soit presque midi répond sûrement à mes angoisses.
Une porte grinçante s'ouvre pour laisser place à un homme qui me fait entrer dans son bureau, et à ma grande surprise le médecin de cet hôpital n'est pas du tout comme je l'imaginais.
Il est plutôt jeune, peut-être 40 ans, avec de longs cheveux bouclés blonds et des yeux bleus.
Cet homme serait sûrement le fantasme de la plupart des filles de ma classe.
- Je vous en prie jeune homme, venez vous asseoir. Merci Giselle vous pouvez disposer.
Cet homme donne beaucoup d'ordres en peu de temps à mon goût.
- Enchanté Thomas, je suis le docteur Wallas. Mon travail sera de m'occuper de toi et de savoir de quoi tu souffres.
- Si je suis là c'est que vous devez déjà le savoir.
- Je suis là car le monde extérieur pense savoir de quoi tu souffres. Mais là n'est pas la question, l'opinion des autres ne fait pas foi ici. Alors mon garçon, de quoi souffres-tu réellement?
J'ai l'impression d'être au lycée en train de suivre un cours de philosophie sur les sentiments, sauf que là c'est à moi qu'est posée la question, et je dois y répondre.
- La solitude.
- La solitude, c'est ce qui te fais peur ?
- Non, la solitude c'est ce qui me fais souffrir. Mais pourtant je m'isole par moi même, j'ai peur de faire du mal aux gens autour de moi.
Il commence à noter des choses dans un dossier portant mon nom, mais cette fois je ne suis pas sûr de vouloir savoir ce qui est dit.
- Et parle moi un peu de cette jeune fille.
- Vous voulez dire Aby ?
- Si c'est elle ton amie, alors oui, parle moi d'Aby.
Ce n'est pas ma plus grande envie en ce moment, mais si le but est de m'aider je vais devoir le faire.
- Aby est une fille magnifique, elle a à peu près mon âge, et elle est portée disparue depuis 2 ans.
Il écrit encore, il va m'enfermer à vie je le sens.
- Tu dis qu'Aby a disparue ? Comment se fait-il que tu le connaisses ?
- Elle vient me voir, mais elle se cache toujours, je crois qu'elle ne veut pas que quelqu'un d'autre que moi soit au courant qu'elle est en vie.
- Tu es en train de me dire que personne d'autre n'a vu cette fille ?
Je m'apprêtais à répondre que « si bien sûr » quand la vérité m'a éclatée en pleine face. Elle se cachait toujours elle ne venait me voir que lorsque j'étais seul, et le jour de la visite de la voisine, maman ne l'a pas vue. Personne ne l'a vue.
Mon esprit est embrouillé, et le psy en face de moi le voit très bien, et on dirait que tout lui semble évident maintenant.
- Tu souffres de ce qu'on appelle des délires paranoïdes. Tu perds contact avec la réalité, tu as tellement peur des autres que tu t'inventes une compagnie pour compenser ton manque affectif. C'est un peu comme une schizophrénie, mais ne t'inquiètes pas, ça ne te rend pas dangereux, et tu devrais réussir à guérir rapidement.
Ça fait beaucoup à digérer d'un coup. Je suis malade, j'aurais dû y croire dès le début au lieu de trouver des excuses. Mais qu'est-ce que ça aurait bien pu changer.
- Combien de temps pensez vous que je vais rester ici ?
- Cela dépend de tes progrès, tu ne devrais plus sentir les symptômes dans 6 mois.
- 6 mois ? C'est ce que vous appelez rapidement ?
- Beaucoup de patients de cet hôpital sont ici depuis des années et n'en sortirons sûrement jamais. Alors oui, 6 mois c'est rapide.
Je vais devoir rester cloitré ici pendant 6 mois. 6 mois enfermé avec des fous furieux. Le docteur ne veut plus essayer de me réconforter, il doit penser que c'est trop tard.
- Giselle va t'accompagner à ta nouvelle chambre que tu partageras avec un autre patient. Cela devrait te faire du bien d'interagir avec une personne réelle.
Génial, je vais devoir jouer dans le social.
Plus les secondes passent, plus je m'enfonce dans mon siège. J'ai l'impression de peser une tonne maintenant que la vérité sur moi m'a été révélée.
Quand je pense aux mois qui vont suivre mon cœur se serre, et les larmes me montent aux yeux. Mais mes pensées sont stoppées par Giselle qui entre dans le bureau sans frapper, et cela ne semble déranger personne, sauf moi.
- Ah, Giselle, vous voilà. Veuillez accompagner notre cher Thomas dans la chambre qui lui a été attribuée.
Je n'ai pas envie de me lever, comme toujours, mais si je ne le fais pas, je sais ce qu'il m'arrivera.
Dans ce genre d'endroit le mieux est d'obtempérer. Je m'avance difficilement vers mon infirmière qui me regarde toujours d'un air dédaigneux, comme si j'avais faire exprès d'être dans l'état dans lequel je suis.
- Suis moi
Ces deux mots m'ont fichu la chair de poule, cette femme me donnerais des cauchemars, si je n'en faisais pas déjà assez.
Avant de m'emmener voir ma chambre Giselle m'a fait visiter le reste de l'hôpital. J'ai pu voir le self, plutôt petit et sombre. Nous avons poursuivi par la salle commune vide à cette heure, et nous avons terminé par la salle de bain du dortoir de mon secteur, je suis dans l'aile « hommes non-violents. ». Je ne veux pas imaginer à quoi pourrait ressembler un fou violent.
Giselle me fait traverser un long couloir et m'arrête devant une porte, la 102.
- C'est ici que tu vas dormir.
- C'est donc ma chambre.
- Si tu veux appeler ça une chambre libre à toi, en tout cas tu as un colocataire.
Sa phrase n'étant pas encore terminée elle m'a ouvert la porte. J'ai pu découvrir un bureau dans l'angle gauche de la pièce, et un lit superposé dans celui de droite. Un garçon est enroulé dans une couette sur le lit du haut, il ne bouge pas.
- Entre
Elle devait savoir que son ordre ne serait pas entendu puisqu'elle m'a poussé à l'intérieur. Elle doit sûrement avoir l'habitude que les patients résistent, ce que j'aurais fait.
Je n'avais pas fais un mètre dans la pièce que cette folle avait fermée la porte et était partie.
Je m'assois sur le lit du bas afin de prendre mes marques. Dos au mur, je vois descendre face à moi la tête du jeune homme.
- Salut.
Sa voix est cassée, il m'a l'air abîmé, complètement défigurée. Sa condition me fait peur.
La couverture sur sa tête tombe enfin. Je découvre un visage brûlé, comme fondu.
Ce garçon n'a même plus l'air humain avec son œil de verre.
Sa tête disparaît avant que ses pieds ne rejoignent le sol. Il se tourne vers moi.
- Tu n'as pas à avoir peur de moi, je ne vais pas te tuer, je ne suis pas Freddy Krueger.
- Les morts ne me font pas peur, Freddy l'était, mais toi tu m'as l'air bien vivant. Et nous sommes dans l'aile des non-violents après tout.
Il rit aux éclats, même si ma remarque n'avait rien de drôle. J'ai comme l'impression qu'il n'a pas ri depuis longtemps.
Il fait un pas vers moi et me tend la main.
- Enchanté gamin, je m'appelle Luc.

Questions sans réponsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant