Questions sans réponses

XI

Trois ans et demi plus tôt...

- Ma chérie, vient ici !
- J'arrive papa !
Aujourd'hui, c'est le jour de mon anniversaire, j'ai 16 ans, et pour profiter pleinement de ce jour je jouais dans la rue avec mes amies, jusqu'au moment où mon papa est rentré du travail.
J'ai fait un simple signe d'au revoir à mes amies, et j'ai couru le plus vite possible dans les bras de mon papa.
Il n'était pas comme d'habitude, son étreinte était moins forte, moins protectrice, comme si il n'était pas content de me voir. Mais je sais que le problème n'est pas là. Mon père m'aime plus que tout.
Je lui fait alors face et me contente de l'interroger du regard.
Mais il n'a apparement aucune envie de me répondre. Son sourire est la seule réponse à laquelle j'aurai droit.
Voyant qu'il est déterminé à ne rien dire je le suis dans la maison où il commence par embrasser ma mère. Puis son ventre, pour saluer mon petit frère. Il pose ensuite son manteau sur une chaise, la même que d'habitude.
Il se dirige ensuite dans le salon, et se laisse tomber dans son fauteuil.
Il n'a toujours pas dis un mot, que ce soit à maman ou à moi. Et j'ai comme l'impression qu'il n'est pas prêt de parler.
Je vois que mon père est triste et tracassé, je ne suis pas aveugle, mais je ne peux absolument pas l'aider tant que j'ignore la raison de ses tourments.
Après une longue minute à le fixer debout, je décide de me déplacer jusqu'au petit canapé à côté de lui et de m'y installer, afin de continuer à le fixer confortablement.
Il n'a rien dit, et n'a pas bouger pendant presque une heure. Mais il arrive un moment où sa respiration s'accélère, son corps subit de légers sursauts, et mon père, cet homme que je connaissais si fort, éclate en sanglots.
Ma mère, depuis la cuisine, n'a pas réagi, elle ne montrait aucun signe d'étonnement. Ce qui pour moi, voulait dire qu'elle savait ce qu'il se passait. Elle se contentait de fixer ses petits-fours tout en se frottant le ventre. Cela semblait comme une provocation à mes yeux.
Un silence de plomb a flotté dans l'air pendant l'heure qui a suivi, et mon regard n'a pas quitté le visage de père pendant une seule seconde.
J'espérais inconsciemment qu'il le sente et se décide enfin à avouer ce qui lui fait du mal, et contre toute attente il a fini par éteindre la télé, il a ensuite pris une grande inspiration et s'est adressé à moi sans même me regarder :
- J'ai bien réfléchi ma chérie, ce que je vais te dire ne te fera absolument pas plaisir, comme à moi ça ne m'a pas fait plaisir quand on me l'a annoncé cet après-midi.
Il a marqué une long temps de pose, comme pour réorganiser ses pensées, des larmes coulaient timidement sur ses joues, il garda les yeux fermés tout le temps de sa réflection, et quand il eût réussi à trouver ses mots il me dit alors :
- Ta grand-mère est morte.
A nouveau le silence s'installe, pour la centième fois aujourd'hui.
Il n'y avait pas de bonne façon de le dire, pas de bonne façon de briser le silence, malgré les efforts qu'il a fait pour trouver une façon douce de me l'annoncer, il n'a pas trouvé. Oui, il n'a pas trouvé, parce qu'il n'y en avait pas.
Joyeux anniversaire Aby.

Les jours passaient, mais la tristesse ne s'atténuait pas. Grand-mère nous manquait terriblement, mais personne n'osait prononcer son nom de peur de faire pleurer mon père, encore une fois. Sa disparition l'a changé, il n'est plus du tout le même homme qu'avant, il ne va plus au travail depuis une semaine, ne mange plus, il refuse même de se lever le matin. On dirait que toute envie de vivre lui a été enlevée.
Après plusieurs semaines à tenter d'oublier, il nous fallait retourner au cœur du problème. Il nous fallait vider la maison de ma grand-mère, débarrasser toute ses affaires, vendre tous les meubles qui peuvent l'être, et jeter les autres. Personne ne se sentait le courage de retourner dans cette maison, sauf moi. Personne ne voulait emballer ses affaires, sauf moi. Personne ne voulait voir l'endroit où elle avait rendu son dernier souffle, sauf moi.

Personne n'avait annulé son abonnement aux journaux, sa boîte aux lettres débordait, mais les facteurs s'obstinait à en mettre toujours plus.
Papa était resté assis dans la voiture, sous prétexte qu'il avait besoin de temps.
Mais on sait tout les deux que le temps ne guéri pas les blessures.
N'ayant pas la clé de la boîte, j'ai arraché la porte. Elle ne servira plus de toute façon.
Il y avait à l'intérieur des factures qu'elle ne payera jamais, des cartes postales de ses petits-enfants qu'elle n'aura jamais le plaisir de lire, et, comme je m'y attendais, des publicités en tout genre pour des crèmes anti rides dont elle n'aura jamais besoin, ou des réductions au supermarché pour des steaks hachés surgelés qu'elle n'achètera jamais.
Je saisi le paquet de lettres et de papiers pour tout mettre à la poubelle.
Je jette un dernier coup d'oeil à mon père qui persiste à fixer son tableau de bord en se pinçant les lèvres pour retenir ses larmes. Le voir détruit de la sorte me brise le cœur, mais que puis-je faire pour lui ? Rien de ce que je pourrai lui dire ou lui donner ne remplacera la présence bienveillante de la mère qu'il a perdu.
Après une longue inspiration je prend mon courage à deux mains pour franchir la porte de cette grande maison.
Même inhabité la maison me paraît toujours superbe : la poussière a eu à peine le temps de s'installer, aucun meuble, ou objet de décoration n'est de travers. Tout est parfait.
Etant donné les évènements survenus dans cette maison, elle reste néanmoins tout a fait chaleureuse.
Déranger un paradis comme celui-là devrait être un crime, mais le choix ne m'appartient pas.
Après avoir fait le tour du propriétaire pour la 10ème fois, je retourne à la voiture pour récupérer les cartons de déménagement et les draps pour couvrir les meubles.
Papa n'a toujours pas bougé d'un poil, il commence à me faire peur.
Mon seul travail aujourd'hui est d'emballer les affaires de ma grand-mère pour les transférer dans notre garage, où papa fera un réel tri quand il sera prêt.
Et tant donné l'état dans lequel il est, je doute qu'il soit prêt avant un long moment.