Ce gars continu de me parler pendant quelques minutes, jusqu'au moment où le professeur devient obligé de s'interrompre pour le faire taire. Au plus grand plaisir de nos camarades hilares.
Le reste du cours se passe sans accro. Mais je remarque quelques filles à deux tables de nous, qui me regardent bizarrement et chuchotent. Je sais très bien ce qu'elle se disent, et ça m'est égal.
Elle s'y feront, elles n'ont pas le choix
Je prends quelques notes dans mon cahier tout neuf, acheté spécialement pour mon nouveau lycée, je suis là pour tout reprendre à zéro, même les cours.
Mr.Marte est un très bon professeur, il est le genre de personne qui vous captive, fait des grands gestes, et parle calmement pour être sûr que vous ne manquiez aucun mot qui puisse sortir de sa bouche. Cet homme est passionné, il nous parle de Voltaire comme s'il l'avait connu, comme s'ils avaient été amis, alors que tous le monde dans cette salle sait que c'est impossible.
Je suis tellement captivé par les dires de cet homme que je me suis arrêté d'écrire, sans même m'en rendre compte.
Quand le cours se termine, je range mes affaires en vitesse et je suis l'un des premiers à se lever. Quand ma bouteille se retrouve à la vue de tous, beaucoup se figent. D'autres n'osent pas me regarder, et une fille est même tombée raide au fond de la salle.
Voyant le regard de tous, je sais que quelque chose ne va pas, c'est beaucoup plus grave que cela en à l'air. Deux filles se mettent à pleurer non loin de moi, et deux mecs vont les réconforter.
Je me sens mal. Il règne désormais dans cette salle une ambiance glaciale, le temps semble s'être arrêté. Je ne sais plus quoi faire.
Je me tourne vers Nico, et il me pousse en dehors de la salle :
- Avance et ne te retourne pas.
Je vois dans son regard qu'il sait ce qu'il se passe, et il à l'air moins surpris que les autres, il avait remarqué ce que j'avais, normal, il m'a regarder droit dans les yeux, des tubes dans le nez ça ne se rate pas. Mais il est clair que beaucoup ne m'ont pas regardé, ou que beaucoup ne l'ont juste pas remarqué tout de suite.
C'est vrai que le bonnet que je n'enlève jamais cache très bien mon tube qui passe derrière mes oreilles, et il cache très bien mon crâne aussi. Ça aide à ce que les gens ne s'attardent pas sur moi.
- Tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ?
- Tu n'est pas le premier.
Le premier a avoir un cancer ? Je le sais, c'est la mode en ce moment, tout le monde en a !
- Le premier?
- Le premier à agoniser.
Ils ont perdu quelqu'un... J'aurais dû le sentir. Ça sautait aux yeux, ces filles ne pleuraient pas pour rien ! Mais je ne m'en suis pas rendu compte, je ne pensais qu'à moi, encore une fois.
- Je suis désolé, je ne savais pas. Qu'est ce que je peux faire ?
- Survivre.
Sur ce, il tourne les talons et repart près de la salle, mais je ne le suis pas.
Une des filles qui pleuraient est sortie. Elle me fixe longuement.
Je la fixe longuement.
Elle m'a l'air tellement abattue, leur tragédie me semble toute récente, et il a fallu que je revienne la leur rappeler.
Je ne peux pas continuer à la regarder plus longtemps, je lui tourne le dos et m'en vais.
Je suis partagé entre aller au prochain cours, ou rentrer chez moi en courant le plus vite possible. Si tant est que je puisse courir. Mais il faudra bien que je revienne au lycée le lendemain, je ne pourrai pas me cacher pour éviter de faire souffrir ces gens.
Je dois juste leur montrer que je ne suis pas la personne qu'ils ont perdue, que je vais me battre, et que je gagnerai.
Je décide de prendre mon courage à deux mains et d'aller au prochain cours.
J'entre dans la salle avant tout le monde, évidemment. Je demande au professeur de mathématiques si je peux prendre la parole dans son cours quelques minutes, avec un regard plein de compassion, il accepte. Encore quelqu'un qui a pitié.
J'attends que tous les élèves soit arrivés et installés, ils me regardent tous comme si ils avaient vu un fantôme. Après tout, c'est peut-être ce qu'ils ressentent.
- Bonjour tout le monde. Je m'appelle Thomas, et comme vous l'avez remarqué je suis nouveau, et je n'ai plus qu'un poumon, l'autre m'a été volé par un cancer, c'est pour cette raison que je traîne cette bouteille partout où je vais. A ce que j'ai cru comprendre, vous avez connu une tragédie comme celle-ci, mais je veux que vous sachiez que je ne serai pas cette personne que vous avez perdue, et je ne veux pas que vous ayez pitié de moi, ou que vous me regardiez comme vous le faites en ce moment. Je suis désolé de vous rappeler vos pires moments, car je vois très bien que ça affecte encore beaucoup d'entre vous, et si cela vous dérange tellement de me voir, et bien vous ne me verrez plus, je me ferai tout petit. Merci à tous de m'avoir écouté.
Beaucoup me regardent avec empathie et attendent que je les regarde à mon tour pour me sourire.
Mais je n'ai pas besoin de leur sourire. Ils souffrent de me regarder, je le vois. Ils n'ont pas besoin d'essayer d'être gentils avec moi, leur gentillesse ne serait que mensonge.
Cette fille qui pleurait n'arrête pas de me regarder, comme elle l'a fait dans le couloir peu de temps auparavant, et je ne détache pas mon regard d'elle non plus pendant une longue minute.
Ses yeux noisettes ne veulent pas se détourner, mais ils y sont obligés quand un mec la prend par l'épaule et l'attire contre lui. J'en déduit que c'est son petit ami, bien sûr.
Je n'ai pas écouté une seule seconde du cours. Pensant à milles choses à la fois : cette maladie, ces pauvres gens, cette fille hier à ma fenêtre...
Quand la sonnerie retentit, je suis victime d'un fort sursaut qui me tire de mes pensées.
Même étant revenu brutalement à la réalité, je trouve de la difficulté à me lever de ma chaise pour sortir de cette salle. Je suis triste que mon nouveau lycée ne soit pas ce que j'attendais de lui.
Je me redresse difficilement, traîne ma carcasse jusqu'au pas de la porte, et tombe sur cette fille, encore.
Elle a définitivement une obsession avec moi. Je n'arrive pas à lui dire un mot, ni arrêter de la regarder. Elle me prend alors par le bras et commence à marcher avec moi à travers les longs couloirs ornés de toutes sortes d'affiches aussi inintéressantes les unes que les autres.
Mes yeux les analysent toutes, que ce soit les feuilles d'inscription pour le club d'échec, les pancartes pour la prochaine sortie théâtre, ou encore les affiches pour prévenir du prochain match de l'équipe locale.
Rien de ce qui peut être affiché sur ces murs n'est plus intéressant que cette fille à mon bras dont je ne connais même pas le nom.
Je ne la connais pas, et pourtant j'ai l'impression d'être son ami.
A moins qu'elle ne fasse pas ça pour moi, mais pour cette personne, cette personne qui doit lui manquer autant que mes amis me manque. Est-ce qu'elle me prend pour lui ? Elle ? Qui était-ce ?
Elle s'arrête et me regarde à nouveau dans les yeux et se décide enfin à me dire quelque mots.
- Il s'appelle Luc, et il est toujours en vie.

Questions sans réponsesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant