Les autorités fouillaient le fleuve, des camions et véhicules de police stationnaient le long des berges. Je subissais l'interrogatoire d'un agent, tandis que mes parents sanglotaient, un peu à l'écart.
Je racontais la même histoire pour la dixième fois. J'ai essayé de la sauver, en vain.
Ils ont pris ses affaires, valises, vêtements, et la guitare, qu'ils ont fouillés, ainsi que notre conversation facebook. Une psychologue tentait d'établir un dialogue avec mes parents. Un autre homme m'a abordé pour récupérer le numéro de ses parents. Tandis que je sortais mon téléphone, j'ai vu les équipes de recherche extirper un corps dégoulinant de l'eau. Ils l'ont déposé sur le brancard blanc prévu à cet effet, en le recouvrant immédiatement d'un drap. Et comme dans un film policier, j'ai entraperçu le bras livide pendant dans le vide.
Mon père s'est écroulé au sol, secoué par les sanglots.
« Attendez. » Dis je à l'agent, « Il y a quelqu'un d'autre que vous devriez appeler. »
Le lendemain, mes parents et moi attendions au cimetière ceux d'Anaïs. Ceux ci n'ont pas tardé à faire leur apparition, aussi pâles que des fantômes, empoignant avec difficulté les mains tendues de mes parents. Leur en voulaient-ils ? Puis, il est arrivé, lui aussi, revenu en catastrophe du Maroc, accompagné de sa mère. Il était beau à en couper le souffle, brillant d'une lueur sombre. Blanc, les traits tirés et des cernes d'un violet aubergine. Meurtri, blessé, terrassé par la douleur. Mon cœur a chaviré en le voyant dans cet état, et j'ai haï Anaïs, qui le faisait souffrir ainsi. Il m'a jeté un coup d'œil, les larmes aux yeux, qui scintillaient la souffrance.
J'ai pleuré aussi, triste qu'il ne cherche pas de réconfort auprès de moi.
Nous n'étions que sept. Un maître de cérémonie a prononcé quelques phrases, puis, a passé une musique qu'elle aimait.
Axel a pleuré.
Au bout d'une heure, nous avons jeté des roses sur son cercueil, puis, il a tourné les talons, ainsi que les parents d'Anaïs. Sa mère s'est dirigée vers moi, le regard peiné :
« Tu sais, Axel aurait voulu te le dire lui même, mais il a trop mal pour cela. Anaïs a beaucoup aimé cette semaine avec toi, elle lui envoyait des messages. Il ne t'en veux pas, personne n'est fâché contre toi. C'est un horrible et tragique accident. Si tu as besoin de parler, ma porte est ouverte. »
Elle s'est détournée, rejoignant son fils. J'ai manqué de la remercier en l'appelant belle-maman.
Les jours suivants furent compliqués. Mes parents se tenaient pour responsables de la mort d'Anaïs. Mon père, surtout, pleurait souvent. J'ai longuement hésité à envoyer un message à Axel, et au final, c'est lui qui l'a fait.
« Je m'excuse pour ne pas t'avoir adressé la parole à l'enterrement. Les policiers m'ont un peu parlé de ton témoignage. Tu as essayé de la sauver, en manquant de te noyer avec elle. Merci d'avoir tout tenté. »
Oh, il est tellement gentil.
« Est ce qu'on peut se voir demain ? J'ai quelque chose à te donner. »
Je l'ai attendu en ville, une heure en avance. Il est arrivé peu après moi. Lorsqu'il m'a vu, il a tenté d'esquisser un sourire, sans succès. J'ai eu affreusement mal, devant son visage ravagé. Il s'est assit à mes côtés en prenant la parole :
« Ça va ? Non, pardon, c'est une question stupide. »
Il s'est tût quelques instants, avant de reprendre :
« Pardon de te demander ça, mais... après tout, tu ne t'en rappelles sûrement pas, mais... est ce qu'elle a paru souffrir, avant de... »
Sa voix s'est coupée. J'ai sortis un vêtement de mon sac.
« Elle l'avait laissé dans un coin de ma chambre. »
Les yeux écarquillés, il saisit le petit gilet gris que je lui tendais, avec autant de précaution que s'il s'agissait d'un objet fragile. Les larmes coulaient sur ses joues, et il poussait des sanglots déchirants en pressant le gilet contre son cœur.
« Merci... merci... »
Je l'enlaçais de mes bras, reposant ma tête contre son épaule, peinant à croire ma chance. Il se calma, peu à peu.
« Je ne sais pas comment tu fais pour être aussi forte... après les horreurs que tu as vécues. Elle était... attachée à toi, tu savais ? Mais au moins, tu étais là. Quand je pense que si je n'étais pas partis en vacances, j'aurais pu... j'aurais pu, peut être... empêcher ça. »
« Arrêtes de te torturer. » Le coupais-je, «Personne ne pouvait prédire ce qui allait se passer. »
Il acquiesça, puis se mit debout.
« Tu devrais prendre soin de toi. Malgré ce que j'ai dis, tu n'as pas bonne mine du tout. »
Il rentra chez lui, le gilet à la main.
Je pensais qu'il se remettrait vite. A présent que le membre pourrissant avait été amputé, il suffisait qu'il cicatrise, et tout irait bien. J'avais tort.
Au départ, lorsque je lui envoyais un message, il répondait amicalement. Cependant, au fil des jours, il se renfermait de plus en plus, jusqu'à ce qu'il m'ignore. J'ai appelé sa mère.
« Evidemment, il ne va pas bien. Il ne mange plus rien et supporte difficilement les visites. Je crois que ce n'est pas une bonne idée que tu viennes le voir. »
Mes joues brûlèrent de rage. J'aurais dû foutre le feu au gilet de cette salope, plutôt que de lui donner. Pourquoi refusait-il de me voir ? Pourquoi ? Un coup monté de sa mère ? Comment osait-elle s'imaginer prendre mieux soin de lui que moi ? Elle s'y prenait mal, elle l'étouffait.
Cette fois, plus que jamais, l'évidence s'imposait à moi. Axel s'éloignait de moi. Les jours sont longs et vides sans son visage. Même en passant sous sa fenêtre, je ne vois rien.
Je ne laisserais pas passer ça.
Je ne pourrais jamais.
A force d'attendre devant son immeuble, un jour, je l'ai vu sortir. Accompagné de sa mère, il marchait tout doucement, le dos courbé et l'air d'avoir perdu plusieurs kilos. J'aurais voulu accourir vers lui, et le cajoler pour le soigner, mais sa mère ne m'aurait pas laissée faire. Ils sont montés dans une voiture et ont disparu.
Plus tôt dans l'année, j'ai dérobé ses clefs pour en faire un double. Pendant toute une semaine, le CPE avait été en émoi, car il recherchait le voleur. J'avais réussi à les lui rendre sans le faire prendre.
J'ai monté les escaliers menant à son appartement, et aies ouvert la porte. Sa sœur n'était pas là, mais en échange à l'étranger. En Algérie.
Je suis restée un instant sans bouger au milieu du salon, décoré sobrement. J'ai visité chaque pièce, prenant soin de ne rien déranger. Au fond du couloir, à droite, sa chambre.
Les volets étaient baissés. Sur les murs, en vingtaines d'exemplaires, des photos d'Anaïs. Sur le sol, il avait répandu des bijoux, lettres, et autres, sans doute des souvenirs communs.
« Je vois... »
Alors tout ça n'avait servi à rien. Il ne pouvait pas tourner la page.
La rage m'envahit d'un seul coup.
« Salope ! SALOPE ! SALOPE ! »
J'arrachais les photos, les déchiraient avec toute ma colère, projetais les bijoux au sol pour les casser. Dans un ultime spasme, je brisais l'écran de l'ordinateur affichant le sourire écœurant d'Anaïs avec sa chaise de bureau.
Résolue, j'allumais un feu pour faire disparaître tout ça.
Résolue, je m'assis sur son lit en regardant le souvenir d'Anaïs se dissiper en une fumée aussi noire que son emprise.
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Purgation (Putride, Limpide)
Misterio / SuspensoLa saga "Putride" en un seul ouvrage. Maelle est une jeune fille rongée par la dépression, jusqu'au jour où elle croise les yeux d'Axel.