Deux voyageurs par une nuit d'hiver

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Une ambiance joyeuse et festive régnait dans la taverne en ce doux mois de janvier. Le temps avait été clément, et les paysans célébraient la nouvelle année avec contentement. La journée avait été courte, mais chacun avait réussi à effectuer le travail avant la tombée de la nuit. Et rien ne semblait pouvoir déranger la joie qui émanait de ce petit village.

Sur les coups de minuit, alors que la bonne humeur commençait à se diluer au fur et à mesure que la nuit s'avançait, deux jeunes gens poussèrent la porte massive et s'engouffrèrent discrètement à l'intérieur de la pièce. Ils se frayèrent un chemin à travers les serveuses qui se déplaçaient avec habitude entre les hommes de moins en moins clairs d'esprits. Puis traversèrent ce labyrinthe composé de tables et de chaises éparpillées par l'animation de cette soirée.

Un garçon et une jeune fille qui devaient à peine avoir passé l'âge de l'adolescence. Vêtus pour le premier de vêtements confortables pour la chasse ; un pantalon épais descendait sur des bottes en cuir usées par la marche, une veste de même matière qui laissait percevoir une chemise d'un brun sale. Le long de son torse, un collier où s'accrochait une forme étrange pendait mollement. Sur ses bras reposaient, fièrement nettoyés, deux bracelets de force portant les armoiries royales. Et à ses côtes, un fourreau par lequel dépassait la garde d'une lame qui semblait avoir l'habitude de sortir.

La demoiselle était vêtue plus simplement. Une légère robe de couleur blanche maculée de taches sombres reposait sur ses pieds. Ses cheveux, d'un brun doré, cascadaient dans son dos de manière dépenaillée. Elle aussi détenait un collier portant cette même forme, faisant penser à une tige crénelée. Tous deux semblaient venir de loin et la fatigue se lisait sur leur visage.

Quand ils se trouvèrent à l'opposé de la porte par laquelle ils venaient tout juste d'arriver, le jeune homme enleva de sa ceinture l'épée qu'il portait, et fit signe à sa compagne de s'asseoir à ses côtés. Tandis qu'ils s'installaient, l'aubergiste, qui n'avait rien raté de leur entrée, s'approcha d'eux.

« Jeune gens, vous semblez-là bien fatigués, peut-être puis-je vous louer une chambre pour cette nuit. Il m'en reste quelques-unes à l'étage, et pour ce soir je suis prêt à vous faire un prix. »

Les deux voyageurs, qui ne pensaient probablement pas s'être fait remarqués, durent réfléchir à sa proposition.

« Eh bien, répondit le garçon en masquant sa surprise, il se trouve qu'il me reste une pièce d'argent. Peut-être pouvons-nous profiter d'un repas avant d'aller nous reposer.

- Sage décision. J'ai déjà renvoyé les cuisiniers, mais je dois bien pouvoir trouver des restes de la soirée, affirma l'hôtelier d'un sourire. Je n'en ai que pour quelques minutes. »

Sur ces derniers mots, il quitta les deux amis d'un regard curieux.

La voyageuse, après le départ du bonhomme, expira de soulagement.

« Quand il nous a abordé, j'ai bien cru un moment qu'il était un membre de la Congrégation !

- Non Amayelle, nous les avons distancés après le col de Nessebois. Ils ne peuvent pas nous retrouver si vite. Et puis j'ai pris soin de dissimuler nos montures dans l'écurie. Même avec leurs ressources, nous avons au moins un jour d'avance sur eux, la rassura le jeune homme.

- Tu ne serais pas aussi confiant si tu avais passé douze ans à travailler avec eux, Eadwin. Ils ont des pouvoirs que tu ne peux même pas imaginer. Et moi non plus, d'ailleurs. »

L'aubergiste revenait déjà, portant deux assiettes remplies de ce qui ressemblait à un ragoût de sanglier, ou de chevreuil. Une fois déposé le festin, il s'assit avec ses deux clients, les regardant fixement pendant quelques gênantes secondes.

« Vous avec des traits qui me sont familiers, commença-t-il en s'adressant à Eadwin. Peut-être êtes-vous déjà venu dans mon auberge, ou bien auriez-vous quelques parents dans la région ?

- Ma foi, non, je ne crois pas. »

Mais l'homme n'arrêta pas là ses questions :

« Est-il possible que vous soyez originaire de Beaufort ? Je m'y trouvais pendant la belle saison.

- Non plus, vous m'en voyez navré. »

Comme il allait reprendre, la jeune fille le devança :

« Mon ami, je suis fatiguée du voyage, peut-être est-il préférable de nous reposer à présent, nous devrons partir tôt demain matin, s'adressa-t-elle au jeune homme.

- Pardonnez mon insistance, s'excusa le tavernier, je ne voulais pas vous effrayer. Je pensais que vous étiez une de mes connaissances. Je vous ai pris pour quelqu'un d'autre.

- Il n'y a pas de mal, pardonna le jeune homme en se levant. Mais il est vrai que nous sommes épuisés par notre journée, et qu'il est temps de nous retirer. Monsieur, merci de votre hospitalité. »

Et sur ces mots, les deux voyageurs quittèrent la salle pour monter l'escalier jusqu'aux chambres. La maison semblait bien entretenue, le plancher n'était pas infesté par la vermine, les rideaux aux fenêtres paraissaient propres et même les draps étaient blancs.

Peut-être réussiraient-ils à se reposer enfin, espéra Eadwin.

Une fois la porte refermée et verrouillée à double tours, les deux compagnons s'allongèrent lourdement sur leurs matelas. Leur journée avait été longue, et tous deux profitaient de cet instant de douceur qu'ils n'avaient pas connu depuis trop longtemps.

Mais Amayelle ne trouvait pas le sommeil malgré son état de fatigue.

« Eadwin. Eadwin ! Tu dors ? » un silence suivit sa question. Finalement, l'intéressé répondit d'une voix enrouée :

« Non. Plus maintenant.

- Excuse-moi. » lui dit-elle. Puis, après avoir pris un temps pour rassembler ses pensées, elle continua. « Mais je n'arrête pas de penser à ce que nous sommes en train de faire. Tu pensais vraiment ce que tu m'as dit ?

- Oui, ne t'inquiète pas pour la Congrégation, ils sont à un jour de cheval derrière nous. A l'heure où nous parlons, ils doivent être en train de chercher de traces de sabots auprès du ruisseau que nous avons rejoint hier. Dors maintenant, nous devons reprendre des forces. »

Amayelle soupira silencieusement. Il n'avait pas compris sa question.

« Je ne parlais pas ce ça.

- De quoi d'autre alors ? interrogea son ami, perplexe.

- Quand tu m'as enlevée du Château des Saintes, tu m'as dit...

- Je m'en rappelle, la coupa le jeune homme. » Il resta sans rien dire. Puis affirma : « Et, oui, je le pensais. »

Le silence retomba dans la chambre. Puis, sans un bruit, d'un mouvement furtif, Eadwin s'approcha du lit d'Amayelle, glissa sa main dans la sienne, et approcha son visage de ses lèvres.

« Je t'aime. »

Cette dernière, trouva la force de le regarder dans les yeux. De brillantes larmes glissèrent délicatement sur ses joues.

« Merci. »

Et leurs corps se rapprochèrent d'eux-mêmes, s'emmêlant dans la nuit. Leur destin se scella par cette étreinte qui dura jusqu'à l'aube.

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant