La Fin de l'Enfance

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Le Roi Orpale accueillait ses sujets dans la grande salle du château, celle réservée pour les grandes occasions. Elle avait été bâtie pour impressionner les invités et leur rappeler qu'ils étaient tous sans exception, les vassaux du roi.

La préparation au mariage du Prince amenait plein de seigneurs des contrées voisine, et le roi mettait un point d'honneur à tous les rencontrer pour leur présenter ses remerciements. Il était bon. Et ne négligeait certainement pas pour autant ses propres sujets, qui le réclamaient pour des affaires habituelles de justice et d'autres problèmes de la vie courante, qui ne s'arrêtait pas pendant cette période de fête.

Le roi finissait de discuter avec le porte-parole d'une terre éloignée qui excusait son seigneur de ne pas pouvoir assister en personne au mariage du Prince car la route était trop longue pour son âge, mais qu'il envoyait ses héritiers en espérant que cela démontrerait son investissement dans les relations avec la couronne, quand le Maître Mage se fraya un chemin vers le Roi Orpale. Arrivé à son niveau, il lui fit signe de le rejoindre en privé.

Quand les deux amis se retrouvèrent seuls, Maître Haymeth laissa transparaître son inquiétude.

« Mon ami, nous nous connaissons depuis suffisamment longtemps à présent pour dire les choses telles qu'elles sont. »

Le Maître Mage inspira longuement avant de continuer son discours.

« Tu as dû le remarquer, mais la magie du Prince n'est pas habituelle. »

Il sentit le roi se raidir légèrement à la mention du Prince, mais celui-ci ne l'empêcha pas de continuer.

« Je sais que tu l'aimes profondément, et crois-moi quand je te dis que je l'estime énormément, mais il ne faut pas être aveugle sur ce qui se trouve sous nos yeux.

- Haymeth. » L'inflexion dans sa voix suffit à faire taire le conseiller.

Orpale n'était pas un mage très puissant, mais il savait que son fils détenait une magie différente de la sienne. Mais le jour de son mariage, il ne se sentait pas la force de le déranger pour une histoire de magie.

« Si nous ne nous préoccupons pas de son cas rapidement... tu te souviens de la Pierre de Mémoire ? Rappelle-toi de ce qu'est advenu du dernier mage à avoir réussi à passer la protection. Tu veux qu'Eadwin suive le même chemin ? »

Le roi resta silencieux.

« C'est ce que tu veux ? insista le Maître.

- Nous aurons tout le temps de nous en occuper après son mariage, finit-il par répondre.

- Tu...

- Suffit ! J'ai pris ma décision. Maintenant respecte-la, s'il te plaît. »

Haymeth soutint le regard de son souverain quelques secondes, mais ne relança pas la discussion. Il avait fait son devoir, il avait prévenu le roi. Ce n'était plus de son ressort à présent.

Dans l'aile royale, la chambre du Prince était en effervescence. Tous les corps de métiers semblaient être présent en même temps. Un tisserand arrivait avec de nouvelles étoffes pour terminer la chemise. Un cuisinier, accompagné de quelques marmitons, voulait connaître les couleurs de la tenue du Prince pour harmoniser ses préparations. Il s'y trouvait aussi un forgeron, qui présentait quelques armes fabriquées pour la circonstance, de différentes tailles et ornements. Des courtisans s'affairaient à profusion, des pages et d'autres disciples circulaient pour être les premiers à voir le Prince. Et bien évidemment, rien de tout cela ne se faisait dans le silence.

Tout ce beau monde parlait et s'agitait dans une cacophonie sans pareil. Les uns criaient pour se faire entendre du Prince, les autres leur demandaient de parler moins fort, certains même discutaient tout simplement par-dessus le bruit ambiant en échangeant les dernières nouvelles concernant ce fabuleux mariage dont tout le monde parlait depuis quelques semaines déjà.

« Alors c'est vrai ? Le Prince a enfin trouvé une épouse ! Depuis le temps qu'on l'attendait...

« Et alors ? A quoi ressemble-t-elle ? Est-ce qu'elle est plus jeune que lui ?

« J'ai entendu dire qu'elle vient d'une région du nord. Elle doit sûrement avoir le teint pâle. Peut-être devrions-nous accorder les tons des vêtements à sa peau ?

« Je reviens de la grande salle, et j'ai aperçu la délégation des Saintes qui venait tout juste d'arriver.

« Des Saintes ? Au château ? Tu as du mal voir ma fille, ce n'est pas arrivé depuis...

« La mort de la Reine.

« Tout à fait !

« Mais pourquoi est-ce qu'elles viendraient maintenant ? Pour le mariage du Prince ?

« Elles veulent peut-être juste rappeler qu'elles existent toujours.

« C'est vrai que nous n'avions pas entendu parler d'elles depuis un sacré bout de temps !

« Ces filles me font froid dans le dos... Je les ai croisées tout à l'heure et j'espère avoir un travail qui me tienne le plus loin possible d'elles durant tout leur séjour !

« C'est vrai qu'elles sont étranges. Il vaudrait mieux éloigner les enfants de la grande salle, surtout tes filles, Amandine.

« Tu penses qu'elles auraient l'audace de venir enlever mes enfants devant la cour du Roi ?

« Je serais toi, je ne prendrais pas le risque... »

Les commérages allaient bon train, et toutes les domestiques, qu'elles vivent au château ou au village, échangeaient leurs informations contre de nouvelles, qu'elles pourraient répéter en revenant chez elles.

« ASSER ! »

Un cri d'homme, cette fois, couvrit toutes les autres voix environnantes. Plus personne n'osait émettre un son. Les bonnes et autres servantes qui se trouvaient le plus loin de la chambre du Prince décidèrent, d'un accord muet, d'aller voir ailleurs si elles étaient plus utiles. De celles qui étaient dans les quartiers royaux, toutes s'enfuirent par la porte en un battement d'ailes, faisant se sauver les dernières qui avaient eu jusque-là suffisamment de courage – ou de folie – pour rester comprendre ce qu'il se passait.

La source de tout ce remue-ménage n'était autre que le Prince Eadwin, qui commençait à en avoir passablement marre de l'agitation envahissante qui résidait dans sa chambre depuis qu'il s'était réveillé.

Ainsi, seuls deux hommes restaient dans la pièce éclairée par le matin. Les tapisseries brodées associées aux tapis réchauffaient la chambre spacieuse, mais ne suffisaient pas à apaiser l'esprit du jeune Prince. Le chevalier Ider, qui était resté aux côtés de son plus proche ami, ne parvenait pas à effacer son sourire moqueur.

Fils d'une amie d'enfance d'Orpale, il s'était toujours très bien entendu avec le Prince, et ces deux amis avaient finis par rester ensembles. Ider, ayant toujours rêvé devenir chevalier, avait fini par entrer dans les ordres l'année passée et faisait partie des plus jeunes chevaliers de la garde. Mais il restait inexpérimenté et continuait son apprentissage de la guerre aux côtés d'Eadwin, qui prenait un malin plaisir à le battre lors des entraînements.

« Bravo ! Maintenant, tu vas devoir te débrouiller tout seul pour choisir ton habit de noces. »

Eadwin porta son regard sur son ami. Mais ce dernier ne semblait pas embarrassé par sa réprimande.

« Et non, ne compte pas sur moi pour t'aider. J'ai promis à ton père de te protéger, mais il est hors de question que je te fasse rentrer dans l'une de ces tenues, tu m'entends ! »

L'humeur décontractée d'Ider semblait contagieuse, et déjà le Prince ne parvenait plus à rester en colère.

« Et même si ce n'est pas toi qui a choisi ton épouse, je ne suis pas sûr que te présenter en sous-vêtements te fasse remonter dans son estime. » reprit Ider.

Et son rire franc détendit l'atmosphère. Il avait une énergie tellement positive, que même le Prince ne parvenait pas à rester sérieux à son contact.

« Tu seras là ? demanda soudainement Eadwin.

– Bien sûr, lui assura son ami. Comment pourrais-je manquer le mariage de mon meilleur ami ? »

Tous deux se sourirent, et Eadwin se remit à son laborieux travail pour trouver un habit convenable.

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant