La Fleur de Lys

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Eadwin n'était pas un jeune homme très attiré par la guerre, mais il ne détestait pas la violence, loin de là. Il la jugeait comme un outil, au même titre que la diplomatie ou l'assassinat et qui permettait d'arriver à ses fins. Et en cet instant, les yeux foudroyant les arrivants, rien ne pouvait se comparer à la fureur qui dévastait son regard. Affrontant ses adversaires d'un geste provocateur, et d'une détermination à couper le souffle, il ne reculerait pas.

En un éclair, les cinq cavaliers se positionnèrent en formation autours de leur général, qui mit pied à terre. Après avoir tendu ses rênes à l'un de ses soldats, il se dirigea lentement vers les deux êtres qui se tenaient devant lui. Fixant du regard la jeune femme dans les bras de l'autre, il se fendit d'un rictus victorieux. Sa proie était enfin devant lui. Depuis une semaine qu'il traquait cette fugitive, il savourait sa vengeance avec patience.

Au château, les Saintes étaient intouchables. Mais ici...

« Amayelle.

- C'est Sainte Rosétoile pour vous, général Gaurre. » et de ces lèvres si parfaites, son rang résonna comme une insulte.

« Ton titre n'a de sens qu'au Château beauté, au milieu de nulle part, tu n'es rien d'autre qu'une vulgaire fugitive. »

La voix grasse qui s'était échappée de la bouche de l'un des soldats suffit à gâcher la bonne humeur du général. Comment pouvait-il savourer son travail si on l'affublait de pareils imbéciles.

« De quel droit oses-tu t'adresser à cette femme, soldat ? Sais-tu à qui tu as affaire ?! le ton assuré que prit Eadwin pour défendre son éprise surprit l'homme de guerre qui mit un temps pour répliquer, ignorant l'avertissement discret que lui envoya son supérieur.

- Ne te mêle pas de ça gamin, reste en dehors du chemin et on passera l'éponge pour ce que tu as fait. Après t'avoir remis les idées en place bien sûr ! s'esclaffa l'homme, suivit par les trois autres soldats.

- Agenouille-toi devant le Prince Eadwin Magencien et sa promise, la Princesse Amayelle Rosétoile. »

Et ce ne fût pas une, mais six têtes, qui se retournèrent vers Eadwin. Ce dernier laissa échapper un sourire de satisfaction. Bien ! Ils ne s'attendaient certainement pas à ça ! Et maintenant qu'il avait leur attention, il fallait absolument qu'il reprenne le contrôle de la discussion, ou son espérance de vie ne dépasserait pas les prochaines minutes.

« Ne m'as-tu pas entendu soldat ?! Je t'ai dit de te prosterner devant tes futurs souverains ! » prononça Eadwin s'avançant d'un pas pour imposer son autorité. Le soldat, soudain douché par les paroles du jeune homme, se retourna vers son général, l'air incertain.

Le général Gaurre inclina légèrement la tête et détailla du regard l'impertinent. Se pouvait-il vraiment qu'il soit le Prince Magencien ? Ou n'était-ce qu'une ruse pour s'échapper ? Il devra jouer avec finesse sur ce coup-là. Et il espérait que ses subordonnés ne se mêlassent pas de cette discussion.

« Prince Magencien, pardonnez mes hommes, nous ne vous avions pas reconnu avec votre accoutrement. » et en disant cela, il fit signe à ses hommes de l'imiter en mettant un genou à terre. Mais aucun ne baissa la tête, signe de respect des soldats magenciens lorsqu'ils s'inclinaient devant leur souverain.

« Relevez-vous à présent, soldats. » ordonna le jeune Prince du même ton assuré.

Les soldats attendirent que leur général se mît en mouvement avant de faire de même. La tournure que prenait la situation commençait à échapper à Eadwin. Il avait espéré qu'en donnant son titre, les soldats changeraient de comportement et lui obéiraient. Mais il semblerait qu'ils restassent aux ordres de leur général.

« Prince Magencien, reprit ce dernier en baissant très légèrement la tête, sans vouloir être offensant, je me permets de vous rappeler que nous sommes des soldats des Saintes, et nous avons ordre d'obéir uniquement au Haut-Conseil, et non au roi. Ni au Prince, pour ce que cela vaut. »

Eadwin ne laissa rien paraître de ses pensées. Mais en son for intérieur, il était mortifié. Il avait complètement oublié que ces soldats faisaient partie de la garnison chargée de la protection des Saintes. Ce groupe de religieuses tenait fermement tête aux rois magenciens depuis aussi longtemps qu'il s'en souvînt. Les tensions qui existaient entre leur faction et le roi ne diminuaient pas avec le temps, au contraire.

Mais Eadwin était bien décidé à ne pas perdre la face. Il devait reprendre le contrôle.

« L'allégeance que vous avez faite ne me concerne guère, général. Mais en manquant de respect à la Princesse, votre soldat s'est mis dans une bien mauvaise position. »

Un murmure de mécontentement sembla monter du groupe de soldats, mais fut très vite étouffé par un regard comparable à celui d'Eadwin que leur général leur adressa.

« Ce soldat n'a pas mesuré la portée de ses paroles.

- Il serait peut-être judicieux de lui apprendre le respect des classes. Et surtout de la royauté. Ce n'est pas parce que vous servez le Haut-Conseil que vous êtes intouchables. »

La moue tendue qu'arborait à présent le général redonna confiance à Eadwin. Il maîtrisait de nouveau la situation.

« Bien, maintenant que nous sommes tous à la même page, je vous suggère de retourner au Château, et de nous laisser faire de même. »

Les soldats allèrent faire demi-tour, mais leur général, qui n'avait pas bougé, leur fit signe de rester. Le rictus était revenu.

« Excusez mon audace, Prince Magencien, mais je me dois de vérifier vos dires. »

Eadwin, qui n'était pas certain du sens de ces paroles, préféra opter pour la méfiance.

« Vous dites ?

- Pour devenir Princesse, votre promise doit d'abord... vous recevoir. Et cette union vous lie par le symbole des magenciens sur vos poitrines. »

Eadwin connaissait parfaitement les lois de son pays. Mais il ne pensait pas que le général les connaissait aussi bien. Surtout que ces lois étaient très vieilles, et connues par seulement une poignée de personnes au palais.

Le sourire hautain et orgueilleux du général irrita le Prince, qui commença à défaire sa veste. Mais il n'eut pas le temps de terminer qu'un raclement de gorge lui fit lever la tête.

« Sur vous, Prince Magencien, cela ne signifie rien. C'est sur elle, que c'est important. »

Il tourna la tête vers Amayelle, qui n'avait pas ouvert la bouche depuis l'affrontement entre les deux hommes.

« Comment osez-vous général, persiffla Eadwin.

- Je suis dans l'obligation de vérifier, Prince Magencien. Comprenez ma position si je revenais au Château en disant ne pas avoir examiné la Sainte qui s'était échappée. Je dois savoir si elle possède réellement le sceau royal.

- Vous allez me payer cet affront, général, soyez-en certain ! »
Amayelle posa sa main sur le bras d'Eadwin.

« Ne t'inquiète pas, si c'est ce qu'il faut pour les faire partir, ça ne me dérange pas. »

Elle sourit tristement à son promis, et défit le haut de sa robe. Une fois terminé, elle présenta le bas de sa gorge aux soldats.
Tous, sans exception, regardèrent lubriquement sa poitrine. Et tous virent, luisant d'une flamme irréelle, le superbe symbole. Le sceau semblait vivant, bougeait lentement, vibrait d'une puissance transmise de génération en génération par les Magencien. L'incrustation dans sa peau, telle une marque divine, faisait resplendir son corps et éblouissait l'astre du jour. La marque embellissait la Princesse au-delà du pensable.

Mais passé l'effet de surprise, le général remarqua le collier qui pendait aux côtés de l'empreinte. Puis, en reportant son regard vers Eadwin, il vit le même l'artefact. Et il le reconnut.

Au diable cette histoire de princes et princesses, il venait de trouver l'arme parfaite pour écraser ce gamin arrogant.

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant