Rencontre Mémorielle

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Eadwin voulait être seul. Et il connaissait le lieu parfait pour cela. Une porte dérobée derrière les cuisines du château menait à un sentier qui s'enfonçait dans les jardins. Il emprunta ce passage, passa devant un puits asséché et arriva devant un kiosque.

Sur la droite, un lierre s'enroulait autour d'une petite barrière qui longeait un fin ruisseau. Il faisait le tour du jardin et apportait une fraîcheur bien appréciée pendant les fortes chaleurs d'été. Eadwin contourna la clôture et retrouva le pont de pierre qu'il s'était fabriqué des années auparavant, lorsqu'il jouait dans les jardins royaux. Aujourd'hui, il n'y venait que pour se réfugier dans son ancien repère, où il s'y sentait rassuré.

Sautant de pierre en caillou, il franchit le cours d'eau et continua son chemin vers le saule pleureur qui abritait son chez-lui. En écartant les longues branches faisant office de rideau, il révéla la cabane faite de planches et autres brindilles qu'il s'était fabriqué. Il s'allongea dans l'herbe et un rayon de soleil vint lui tenir compagnie.

Il repensa alors à ce qui l'attendait. Le mariage. Son mariage. Et dire qu'il n'avait encore jamais rencontré sa future épouse. Mais il était anxieux. Comment allait-elle réagir en le voyant ? Et lui ? Allaient-ils s'aimer ? Mais son père l'avait prévenu que ce n'était pas ce qui importait. L'amour, disait-il, n'est qu'une faiblesse pour un guerrier tel que son fils. Et même s'il le voulait, Eadwin ne parvenait pas à tomber amoureux. Il avait pourtant cherché à faire connaissance, mais rien ne semblait lui plaire.

Il devait penser à autre chose. Il tendit ses mains et fixa du regard la marque magique qui avait perforé sa peau. Elle occupait tout l'espace sur sa paume droite et resplendissait malgré l'intense luminosité de la journée. Cette forme le fascinait. Il était resté des heures devant ce symbole, ne faisant rien d'autre que le regarder. Parfois, il s'effrayait lui-même, ne se souvenant pas d'avoir passé autant de temps à le contempler. Heureusement, personne jusque-là ne l'avait surpris dans ces moments. Il ne voulait même pas imaginer la tête de son père, ou même de son Maître, s'ils se rendaient compte de l'influence qu'avait la magie sur lui.

Haymeth lui avait répété maintes fois que l'utilisation de la magie créait une dépendance chez ceux qui la pratiquait. Et que nombreux étaient ceux qui se parvenaient pas à s'en défaire. Voilà pourquoi il ne voulait pas lui donner plus de quelques heures de leçons de magie par semaine.

Mais Eadwin était un enfant curieux. Et ces nouvelles perceptions lui donnaient une autre vision de la réalité qu'il voulait approfondir. Alors il avait trouvé cet endroit, à l'écart de la vie sans relâche du château, où il pouvait faire ses expériences tout seul.

Au fur et à mesure de ses découvertes, il ne faisait plus la différence entre ses aptitudes qui lui venaient de ses pouvoirs et de celles que le reste des humains possédaient. A ses débuts, il était descendu au village et avait tenté d'aider les habitants dans leurs tâches à l'aide de ses capacités. Mais il s'était vite rendu compte que les villageois étaient plus effrayés par ce qu'il faisait que reconnaissant. Il s'était donc abstenu, cachant sa magie et l'utilisant uniquement de manière dissimulée.

Une brise s'éleva, produisant un bruit de papier froissé en passant dans les branches du saule. Eadwin tendis son bras et libéra son aura.

Une flamme bleutée s'échappa de sa main. Elle s'enroula autour du poignet du jeune homme et s'étendit jusqu'à son épaule. Eadwin avait fermé les yeux. Il voulait ressentir cette puissance qui émanait de son corps. Il avait appris que cette coloration était inhabituelle pour un magicien.

Mais Eadwin avait fait ses propres recherches. Et quelques vieux livres de la grande bibliothèque située au château détaillaient un peu plus le phénomène. La magie provenait d'un univers différent. Et lorsqu'elle était brutalement ramenée sur Terre, elle pouvait produire cette lueur. Et la puissance avec laquelle elle arrivait influait sur la couleur.

Une manifestation dénotant une puissance capable de devenir visible à l'œil. Il avait bien vu que son maître avait été surpris par cela. Plus que surpris même, dans son regard, Eadwin y avait vu une peur tellement vraie qu'il avait arrêté de venir à ses leçons pendant tout un mois, avant que le Maître Mage lui demande de revenir, agissant comme s'il avait oublié ce qu'il s'était passé.

Maintenant, Eadwin était enfin un mage accompli. Mais malgré ce titre avantageux, il lui restait encore beaucoup à apprendre. Et il le savait.

Il déposa son bras sur le sol. Au contact, sa magie se déversa en un éclair dans le parterre, se répandit dans la terre, se déversa dans le monde. Traversant à une vitesse vertigineuse les distances. Se déplaçant comme une ombre dans les bas-fonds des villes, villages et routes.

Eadwin, au centre de toute cette profusion des sens, se délectait de cette communion avec les choses et les êtres. Une fusion qui ne dura que quelques secondes si on le regardait, mais qui pour lui sembla être une éternité.

Il utilisait sa magie pour se relier à tout ce qui l'entourait. Et avec le temps, il essayait de repousser ses limites. À ses débuts, il ne dépassait pas le jardin dans lequel il se trouvait. Mais à présent, il parcourait les comtés alentours avec aisance.

Sa sœur, Auréline, détenait une magie plutôt faible comparée à lui. Mais elle restait néanmoins plus puissante que leur père. Eadwin n'avait donc jamais vraiment partagé tout ce qu'il avait appris - et expérimenté - sur la magie qu'ils possédaient tous.

En retrouvant peu à peu le chemin vers son corps, Eadwin remarqua un groupe de jeunes femmes qui se promenaient pas très loin de sa position. Leur aura lui était inconnu, chose qui n'était pas étonnante avec le nombre d'invités présents dans le château. Mais quelque chose les différenciaient. En laissant glisser sa magie vers elles, il comprit alors ce qui l'avait interpellé.

L'une des trois filles avait senti sa présence.

Se réveillant en un instant de la transe dans laquelle il se trouvait, Eadwin se maudit d'avoir été aussi insouciant. Il entendait encore résonner à son oreille les avertissements incessants de son maître. Mais enfin ! Met des barrières à ta magie, tout le monde peut accéder à toi !

Et il venait de s'exposer en pleine lumière, avec tous ces inconnus grouillant dans le château pour son mariage. Et l'un d'eux possédait la magie !

Il venait à peine de se lever, quand des voix se firent entendre à quelques pas seulement de là où il se trouvait.

« Sainte Rosétoile, vous devriez vous reposer un moment, votre ami est peut-être parti rejoindre les autres au château.

- Je suis certaine qu'il était par là, peut-être derrière le ruisseau... »

Eadwin sentit l'adrénaline parcourir son corps. Se baissant pour rester caché derrière les branches de l'arbre, il se déplaça de quelques pas pour tenter d'apercevoir les visiteuses discrètement. Avant que ces dames puissent trouver un passage, un bruit sur sa gauche détourna son regard. Un jeune homme qui devait avoir pas loin de son âge s'avança dans la direction des Saintes.

« Amayelle Rosétoile, je vous trouve enfin ! »

Les trois jeunes femmes se tournèrent vers le nouvel arrivant, au grand soulagement d'Eadwin, qui ne pouvait pas à la fois se cacher des deux côtés à la fois.

Celle qui se prénommait Amayelle avança d'un pas.

« Geoffrey, vous êtes là. »

Le jeune homme lui prit sa main et la porta à ses lèvres. Une ancienne coutume voulait que baiser la main d'une Sainte apportait bonheur sur sa famille. Mais des superstitions plus récentes prédisaient la perte de ses filles à ceux qui approchaient ces mêmes Saintes.

C'était donc une surprise pour Eadwin de voir quelqu'un non seulement ne pas sembler avoir peur d'elles, mais en plus oser la toucher pour un baise-main.

Mais il ravisa son jugement quand il vit le poignard discrètement enserré dans la main de celui que la Sainte venait d'appeler Geoffrey.

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant