Le Monde du Dessous

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Pouvoir se reposer semblait être un luxe qui ne lui était pas accordé.

Toujours rester en mouvements. Ne jamais lâcher prise, ne jamais fermer les yeux.

Une lame effilée se déplaçait avec vitesse sur les remparts du château. Et les jambes de sa propriétaire battaient au même rythme endiablé. La rapidité était ce qui lui avait permit de survivre jusqu'à présent. Pas une seule fois elle n'avait baissé sa vigilance. Elle pouvait commencer à sentir les effets de cette permanente acuité de corps et d'esprit ; des tiraillements douloureux lui parvenaient de plusieurs parties de ses jambes et ses mains lui semblaient détachées de son corps, comme si elles agissaient par elles-mêmes.

C'était probablement chose normale après avoir passé deux jours entiers sans dormir. Mais cela ne lui importait pas. Dans ses pensées, il ne résidait qu'une seule chose. Qu'un seul ordre.

Qu'un seul objectif.

Soit présente à minuit, au parc intérieur. Élimine uniquement l'ensemble de tes concurrents.

C'était tout. Pas d'états d'âme, pas de regrets, pas de pitié et certainement pas de joie. Elle agissait. Tout simplement. Ses mouvements toujours coordonnés lui permettait de ne pas faire trop de bruit quand elle se déplaçait. En déséquilibre avant, elle continuait sa course folle. L'épuisement au bord des lèvres, elle ne pouvait pas s'arrêter. Pas si proche du but... pensa-t-elle.

Un éclair étincelant brillait à ses côtés et la suivait comme son ombre. Son arme, complètement dégainée, veillait à la maintenir en vie. Une fois lui avait suffit à se faire prendre par surprise et à devoir perdre une précieuse seconde à sortir le fer de son fourreau. Après avoir écarté son opposant, elle s'était reprochée sa naïveté et sa trop grande confiance en elle, pour décider de garder, arme au poing, cette précieuse alliée.

La lune, dans son dernier croissant, n'éclairait que très peu le sinueux chemin qu'empruntait la petite fille. Aurore – car c'était son nom – inlassable dans sa course contre le temps, continuait de cavaler sur les pierres ; dangereux jeu qui consistait à ne pas perdre l'équilibre, au risque de découvrir le fond du précipice qui s'ouvrait sur les douves.

Pourtant, elle ne semblait pas effrayée par cette idée. En fait, cela ne lui était même pas venu à l'esprit. Ses chaussures, faites d'un cuir souple qui amortissait ses bonds, prolongeaient ses genoux et, depuis le bas du tibias jusqu'à la pointe des pieds, recouvraient agréablement ses chevilles et lui assuraient chacune de ses foulées. Sa tenue, pourtant des plus simples, aurait pu éveiller les soupçons, surtout si proche du milieu de la nuit. Des teintes sombres étaient tout ce qui composait son habit : un haut-de-corps noir la gardait a l'abri des rafales de vent qui soufflaient de plus en plus fort au fur et a mesure qu'elle montait en altitude. Mais pour qu'une âme puisse trouver étrange cet accoutrement, encore aurait-il fallu pour cela la distinguer parmi les ombres des hautes tours qui se dressaient à intervals réguliers tout le long des remparts.

Soudain, elle prit un appuie plus fort que les autres, et sans la moindre hésitation, elle sauta pour se réceptionner quelques mètres plus bas, sur le toit de l'une des maisons de la cour-intérieure. Mais, après avoir reprit son équilibre, lorsqu'elle se releva pour reprendre son infernale course, un éclair blanc étouffa sa vision. Puis, un cri aiguë de douleur retentit comme un éclat de verre dans le silence de cette nuit.

Quand Aurore se rendit compte qu'elle plongeait en avant, l'impulsion de douleur remonta le long de sa jambe en secouant tout son corps. Le choc arriva brutalement. La frêle masse de son corps d'enfant s'écroula sur le toit avec un son mat.

Toute l'énergie accumulée par ses efforts des trois jours passés à rester haute en puissance se dissipa en un instant.

Inerte, elle resta dans cette position, le corps désarticulé, pendant une période qui lui sembla éternelle. Lorsqu'enfin sa conscience reprit les rênes de sa chair, un tremblement incontrôlable fit vibrer ses membres. Puis, et cela l'étonna, des pleurs fébriles s'échappaient de sa bouche et de ses yeux. Malgré son jeune âge, elle ne se souvint pas avoir jamais pleuré sur son sort et c'était pourtant ce qui lui arrivait en ce moment.

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant