Les Mages

22 1 0
                                    

« Plus haute la main ! J'ai dit plus haute, pas plus loin ! Mais quel manque de grâce. Comment peut-on passer autant de temps à travailler et ne pas arriver à se libérer ? Je vous le demande ! Regardez votre sœur, elle est plus jeune que vous et arrive déjà à produire un sort. Remuez-vous un peu, que diable. Essayez au moins de faire apparaître une étincelle ! »

Dans la haute salle du donjon, juste sous les pierres du toit, le Maître Mage du roi enseignait depuis quelques heures déjà, les premières leçons de magie du jeune Prince Eadwin Magencien et de sa sœur, Auréline Magencien.

La lignée des Magencien possédait depuis la nuit des temps une magie héréditaire, propre à leur famille. Leur père, le Roi Orpale, détenait lui aussi ce pouvoir, signe de son sang royal. Mais ses obligations l'empêchaient d'enseigner à ses héritiers la magie qu'ils devaient savoir maîtriser. C'est pour cette raison que le Maître Mage, et premier conseiller du roi, se chargeait d'apprendre à ses deux enfants les bases de ce qui deviendrait plus tard, une puissante force.

Mais l'apprentissage ne se faisait pas sans efforts, et malgré toute sa bonne volonté, Eadwin ne parvenait pas à activer son sceau. La magie, telle un oisillon dans un œuf, devait perforer sa peau et lui dessiner sur sa main le stigmate de sa famille. Mais cela faisait plus de cinq heures qu'il s'acharnait à libérer ses pouvoirs, sans succès.

« Je t'ai dit de placer ta main à cette hauteur, et de te concentrer ! Bien sûr que tu es capable de le faire, sinon comment expliques-tu la présence de ce glyphe sur la paume de ta sœur alors que je ne vois rien d'autre qu'une peau de bébé sur la tiennes, hein ?! »

Eadwin venait d'atteindre ses dix ans, et était en âge de devenir un Mage. Ou du moins d'en recevoir l'enseignement. Mais rien ne semblait aller comme prévu. Ses doigts s'écartèrent, puis se tendirent au moment où il ferma les yeux pour penser à son énergie. Une seconde passa. Puis deux. Mais rien ne changea. Auréline laissa échapper un rire.

« Arrête de te moquer de moi !

- Je ne peux pas, c'est trop marrant de te voir rater quelque chose ! »

Le Maître Mage Haymeth se planta devant le jeune apprenti, puis se pencha en avant pour se mettre en face de son visage. Lorsqu'il fut certain de bien avoir son attention, il détacha chacun de ses mots :

« Ecoute-moi bien, je te donne trois secondes pour libérer tes pouvoirs ! Si après ça tu n'y arrives toujours pas, je m'occuperais personnellement de creuser un trou dans ta main pour laisser sortir la magie. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ? »

Eadwin, qui n'avait pas détaché son regard du Mage, hocha très lentement la tête, sans faire de gestes brusques – on n'est jamais trop prudent.

« Un ! »

Le jeune garçon ferma immédiatement les yeux et pria pour qu'il réussît. Il chercha désespérément dans le noir nébuleux de ses paupières la source de magie qu'il ne parvenait pas à libérer.

« Deux ! »

Il visualisa le symbole royal. Une fleur de lys dont les pétales représentaient un fleuret, une épée et un sabre, couronnée d'une lemniscate dorée, c'était le motif de la magie des Magencien. Rien ne semblait pouvoir briser sa concentration. Eadwin était tout simplement fasciné par l'étrange blason de sa famille. Quelque chose semblait résonner en lui. Quelque chose de profond, ancré dans son être tout entier. Le jeune garçon qu'il était ne semblait pas comprendre ce qui lui arrivait. Des émotions lui parvenaient par milliers. Des émotions nouvelles, qu'il ne connaissait pas. Des sensations aussi. Inconnues. L'ensemble de ces choses se mélangea à sa personne, fusionna en lui. Le maelström de connaissances qu'il découvrit lui coupa le souffle. Toujours obnubilé par la figure qui flottait devant l'obscurité de sa vue. Avait-il imaginé ce qu'il venait de lui arriver ? Les informations qui arrivaient à son cerveau paraissaient confuses. Comme s'il ne parvenait plus vraiment à comprendre ses perceptions.

Il finit par ouvrir les yeux. Il n'aurait pu dire combien de temps s'était écoulé depuis que son maître lui avait demandé de libérer sa magie. Mais ce dernier et sa sœur étaient maintenant assis en face de lui, les yeux entrouverts et le visage fatigué.

Quand le Maître Mage comprit qu'Eadwin venait de terminer son Affranchissement, il retrouva tout à coup son air sévère. Mais Eadwin pouvait y trouver un soupçon d'admiration.

« Enfin ! Vous ne faites pas dans la demi-mesure ! Quand ce n'est pas une absence complète de magie, vous nous irradiez de votre puissance ! »

Eadwin ne saisit pas le sens des paroles du Maître.

« Observez votre main à présent, mon garçon. »

Eadwin s'exécuta, porta son regard sur sa main droite et y découvrit le fameux symbole de pouvoir. Le blason des Magencien. L'armoirie royale. Et elle brillait de mille feux, resplendissant dans la salle d'ordinaire désaturée.

« J'ai réussi ! s'exclama le petit Prince. J'ai libéré mes pouvoirs !

- Oui, enfin ! appuya sa sœur. Moi j'avais réussi il y un jour déjà !

- Mais votre aura n'a pas la même ampleur, précisa le Maître, et Auréline croisa les bras, vexée. Maintenant que vous avez libéré votre magie, il faut à présent apprendre à la masquer, pour ne pas vous épuiser. Et aussi pour éviter de signaler votre présence tel un phare dans la nuit. »

Les années passèrent et Eadwin, en plus de ses autres cours d'escrime, de calligraphie ou encore de posture, suivait les leçons de Maître Haymeth. Et ce dernier était impressionné par les progrès de son élève. De même que par sa puissance. Le petit ne semblait pas épuisé après avoir passé des heures à se servir de sa magie.

Un jour, lors de son seizième anniversaire, le Maître Mage décida de tester les limites de son apprenti.

« Eadwin, êtes-vous prêt à résoudre un problème ?

- Oui, maître ! »

Alors il lui tendit une boule azure, légèrement transparente. Eadwin n'avait jamais vu une aussi belle pierre. Une fumée, ou un liquide, paraissait bouger à l'intérieur mais d'une manière qui n'était pas naturelle. Le jeune mage reconnaissait ce genre de manifestation, une couleur vivante : c'était là la caractéristique principale de la magie. Et il n'avait pas besoin de le voir pour ressentir l'étrange force émaner de l'objet. Il était maintenant habitué au contact de cette puissance archaïque. Depuis qu'il avait libéré ses pouvoirs, il avait acquis de nouveaux sens. Et l'un d'entre eux le connectait avec la magie autour de lui. Et Eadwin pouvait jurer qu'il avait affaire à une ancienne composante de la magie.

« Que dois-je faire, maître ? interrogea l'adolescent en direction de son ainé.

- Une bien profonde question que vous me posez là, mon Prince. »

Maître Haymeth possédait aux yeux d'Eadwin le don de savoir éluder les demandes sans paraître impoli ou dédaigneux. Et il aurait aimé posséder lui aussi cette faculté de s'esquiver les ennuis des autres.

« Durant une ancienne guerre, le Maître Mage qui servait le roi s'est demandé s'il pouvait échanger des messages sans que ceux-ci ne tombent entre les mains de leurs ennemis. Il finit par trouver ces mystérieuses pierres que nous appelons aujourd'hui des Perles de Mémoire. Ainsi, il plaça à l'intérieur une forme de pensée, qu'il transmit à son souverain en lui demandant s'il arrivait à la comprendre. Le roi, curieux, tenta de déchiffrer le précieux artefact, en vain. Il promit alors une récompense à quiconque réussirait à percer la pensée du Maître Mage. Jusqu'à présent, aucun mage, d'aucune lignée, n'y est parvenu sans la clef qui permettait d'en ouvrir l'accès. Mais la récompense tient toujours, et j'attends le moment où un de mes élèves parviendrait à déverrouiller la Perle. »

Eadwin, qui avait écouté avec attention le récit de son maître, reporta son regard sur la pierre qu'il tenait dans sa main.

« Vous me pensez capable d'y arriver ? finit-il par demander, peu sûr de lui.

- Non. »

La réponse tomba comme un couperet. Mais la suite le surprit encore plus :

« J'en suis certain. »

Le Nouveau MiracleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant