Chapitre 17. Kylian

94.6K 3.8K 308
                                    

Je me sens comme un chiot à qui l'on aurait offert le plus gros os de sa vie. Comblé. Chanceux. J'ai l'impression d'avoir été emporté par une tornade et d'y planer depuis, complètement euphorique. Une sensation de bonheur jusqu'au plus profond du cœur, là où il y a bien longtemps qu'il n'y avait rien eu d'autre que la rancœur et de vieux démons.

Je la regarde dormir et bordel, je me demande bien quels actes bienveillants est-ce que j'ai pu faire pour que le bon Dieu me remercie de cette façon. Elle est là, dans mes bras, paisiblement endormie depuis des heures, une mèche de cheveux qui lui retombe constamment sur la joue que je ne me lasse pas de repousser.

J'aimerais que Rabbit soit là, juste pour avoir le plaisir de lui annoncer cette nouvelle première fois ; j'ai passé la nuit entière avec une fille, et pas seulement partagé son lit avant de m'enfuir une fois l'affaire conclue.

Pire, je ne m'aimerais être nulle part ailleurs que dans ce lit avec elle.

-Bonjour... bredouille-t-elle dans un long bâillement.

Impossible de me retenir de sourire comme un imbécile quand elle pose un bisou sur mon avant-bras, enlacé autour de son cou. 

-Bien dormi ? m'interroge-t-elle les yeux toujours clos.

-Comme un bébé.

C'est un demi mensonge puisqu'en vérité, je me suis bel et bien endormi plus serein que ça n'avait été le cas depuis un moment, mais un cauchemar dans lequel je la regardais, impuissant, me hurler dessus sans que je n'entende quoi que ce soit m'a réveillé à six heures du matin, avec une boule durement logée dans l'estomac. 

J'ai voulu essayer de me calmer et aussi de passer le temps en lisant son recueil de poèmes signé Baudelaire. Ce qui est certainement la première fois la plus surprenante à ce jour. Et étonnement, je me suis surpris à réfléchir quant au sens d'un bon nombre de ses mots, comme sur :

Le bonheur est venu habiter chez moi, et je ne l'ai pas reconnu. (Cf : Le Spleen de Paris)

Ça, il m'a fallu un bout de temps pour le comprendre mais il est bien là aujourd'hui, grâce à elle. 

Ou :

J'ordonne que pour l'amour de moi, vous n'aimiez que le beau. (CF : Les fleurs du mal)

A la lecture de ce vers, j'ai tout de suite senti toutes mes angoisses refaire surfaces. Une peur grandissante qu'un jour, elle décide de gratter plus loin que ce qu'il y a simplement à la surface, alors que je m'efforce envers et contre tous de maintenir debout ce mur de briques que j'ai bâti pour empêcher quiconque de découvrir la noirceur qui m'habite. Pour m'assurer que personne ne découvre jamais ce qu'il se cache véritablement au plus profond de moi ; tous ces démons que j'essaie de combattre en vain depuis toujours, toutes ces conneries que j'ai pu faire qui, je le sais, risqueraient de changer à tout jamais cette façon qu'elle à, si insouciante, de poser les yeux sur moi.

J'aime penser que quand elle me regarde, même droit dans les yeux, elle parvient à y trouver une part de bonté en moi. Ça me soulage, me donne même parfois un peu d'espoir et je parviens presque à y croire aussi l'espace d'un instant. Mais au fond de moi, je sais qu'il n'y en n'a plus de bien longtemps malgré tous mes efforts pour y remédier, et je ne peux tout bonnement pas la laisser voir à quel point elle a tort.

C'est égoïste, mais je refuse de la laisser apprendre à me connaître davantage, j'en crèverais de l'avoir autant déçue une fois qu'elle aura découvert toute la vérité. La seule chose que je peux lui offrir, c'est ça, une surface faussement lisse que je m'efforce d'entretenir. Et je prie pour qu'elle accepte de s'en contenter.

BrokenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant