Prologue
La bulle approche enfin de la côte ensoleillée. Cela fait déjà plusieurs mois qu'elle voyage, à la recherche du meilleur endroit pour relâcher son précieux chargement. La plage de sable blanc, à moins d'un mile nautique devant elle semble accueillante et calme, lovée aux pieds d'une pente d'herbe douce. En-haut de la colline, on peut apercevoir la clôture d'un champ, une présence humaine, l'endroit n'est pas isolé. La silhouette claire d'une ville se dresse au fond de la baie.
Si une bulle pouvait soupirer, elle l'aurait fait de soulagement. Elle est arrivée. Tout en douceur, elle se laisse déposer sur le rivage par les vagues délicates de cette fin d'après-midi. Après plusieurs minutes pendant lesquelles la mer fit ses adieux à ce qu'elle avait créé et protégé tout ce temps, la bulle s'ouvre enfin. L'eau se retire en une dernière caresse salée et repart dans son voyage infini.
Sur la plage, ne reste que le chant enivrant des vagues et les cris surpris d'un nourrisson.♦
Ce jour-là, c'était le premier jour de l'été, un jour de liesse pour le peuple de Mérile. Les habitants se pressaient dans les rues en de longues parades colorées qui semblaient grouiller d'une vie propre. On dansait et on chantait au rythmes des mélodies entremêlées des musiciens de rues. Les femmes portaient des robes et des bijoux aux couleurs vives de leur famille et se paraient de dizaines de fleurs. Elles rayonnaient comme des phares dans la marée humaine.
L'activité frénétique de ce jour de fête se concentrait autour du grand marché central et le long du port: les boutiques et les bars. Les enfants couraient sur les quais libérés de leurs parents pendants quelques heures au moins. On fêtait ainsi, pendant trois jours et trois nuits, l'Avènement de l'ère des Dieux, une dizaine de siècles plus tôt.
Toutefois, ces même Dieux avaient perdu leur place d'honneur lors de ces festivités au profit des riches marchands et de la famille royale. Même les boutiques les plus modestes étaient décorées avec plus de faste que le temple d'Ea elle-même, la déesse mère de la cité. Chacun se souciait plus qui de trouver le bijou de ses rêves, qui de boire le plus de bière que son voisin en moins de temps ou encore d'avoir l'honneur de croiser le regard du prince Lyan, que d'aller se recueillir ou offrir la traditionnelle couronne d'Ivrines au protecteur de sa lignée.Sam Kerin était crieur public depuis une trentaine d'années déjà. Pour lui, ces jours de fêtes étaient particulièrement épuisants. Il devait sans cesse élever la voix au-dessus des humeurs de la foule et il croulait sous les demandes. Il avait à peine le temps de boire un peu d'eau à sa gourde toutes les trois annonces, pas plus, pas moins. C'était la première règle, celle qui faisait qu'il était le plus vieux crieur de Mérile et le plus reconnu.
Sa deuxième règle était de ne plus accepter d'annonces après que les rayons du soleil aient disparu sous la table de la vieille voyante, la veuve Terik. Cela signifiait qu'il lui restait une bonne heure pour terminer sa liste d'attente qu'il avait soigneusement mémorisée. Aucune demande n'était prise par écrit, la moitié au moins de ses clients ne savaient même pas lire.
Sa troisième et dernière règle lui autorisait une dizaine de minutes de pause pour avaler un repas froid à la mi-journée. Il s'asseyait alors dans une petite ruelle parallèle, d'ordinaire calme et carrément déserte les jours de l'Avènement, et se détendait un peu.Il ressassait encore sur la bêtise de l'avidité humaine qui avait été assez puissante pour destituer le spirituel, regardant avec nostalgie la tour du temple d'Ino qui dépassait des toits environnants. Il irait saluer son Dieu pendant la veille de cette nuit, malgré la fatigue et le fait qu'ils ne seraient sûrement plus que deux ou trois cette année. Au moins sa voix, elle, se reposerait.
Il dépliait son corps sec et fatigué, prêt à se remettre au travail, quand il se retrouva soudainement le nez à deux centimètres d'un joli pavé rose. Sonné, il releva la tête juste à temps pour apercevoir la brute qui l'avait bousculé courir comme un dératé vers la rue marchande. Trop loin pour le rattraper.
Sam se relevait tant bien que mal en grommelant dans sa fine barbe toutes les imprécations qu'il pouvait connaître à propos de l'inconséquence et l'impolitesse des gens, lorsqu'un léger bruit lui fit tourner la tête.
Dans l'encadrement d'une porte, plus loin dans la rue, se tenait une petite fille. Elle regardait frénétiquement autour d'elle et fixa ses yeux azur sur Sam. Elle avança timidement vers lui.
- Il est parti ? chuchota-t-elle quand elle fut assez proche pour qu'il puisse l'entendre.
Sam avait la gorge sèche, sa voix y restait bloquée. Il hocha la tête avec difficulté. Il avait l'impression que le monde s'était réduit autour de lui et de l'enfant, il n'entendait plus la fête qui battait son plein normalement juste à côté.
- Tu dois me protéger. Promis ?
Sam opina à nouveau, subjugué par ses immenses yeux clairs qui ne quittaient pas les siens. Il ressentait un réconfort qui lui donnait envie de pleurer.
- Et tu dois aider mes parents, tu dois les amener chez Ea.
- D'a...d'accord, parvint-il à articuler enfin, sans comprendre sa demande, mais certain qu'il ferait tout pour cette fillette. Si elle lui fait demandé de nager jusqu'à Yzor, il l'aurait fait. Qui qu'elle soit.
- Je suis Eylis.Sans rien ajouter, elle s'avança dans la rue et prit doucement la main de Sam. Elle le tira calmement, presque avec tendresse, vers la porte par laquelle elle était apparue et le fit entrer à l'intérieur.
- C'est chez moi, murmura-t-elle.
Et le doux rêve dans lequel était plongé le crieur depuis quelques instants vola en éclats.
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Les Protecteurs
FantastikÀ Mérile, un commerce florissant et une fascinante famille royale ont effacé les dieux de la mémoire du peuple qui coule des jours insouciants. Mais une rumeur va bientôt courir: et si la magie n'avait pas abandonné la partie ? Sam, Eylis, Anaïs, T...