Chapitre 2 : Un dangereux binôme

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Cette deuxième journée de cours a bien débuté. Je me suis installé dans un coin calme du hall pour terminer mon livre quand j'ai vu Lyla entrer. Elle semblait chercher quelque chose du regard. Pourtant, elle est entourée de ses deux amis, alors qui pouvait-elle ch... Tout à coup ses yeux ont rencontré les miens, ce qui m'a immédiatement provoqué une décharge dans le cœur. Ses joues ont rougi et elle m'a souri timidement en baissant la tête, sans me quitter du regard. Cet échange, qui n'a duré que deux secondes tout au plus, m'a pourtant donné l'impression que le monde s'arrêtait de tourner. Mais j'étais obligé de couper court à cet échange, alors j'ai refermé mon livre, un peu trop brutalement peut-être, j'ai pris une expression de marbre et je suis parti. J'ai tout juste eu le temps d'apercevoir un éclair d'incompréhension sur son beau visage.
Je me suis alors dirigé vers la salle de classe, le cerveau en ébullition. Était-ce moi qu'elle cherchait? M'a-t-elle reconnu? A-t-elle reconnu Jay à travers les traits de mon visage? Ma réaction l'a-t-elle blessée? Je ne l'espère pas.
- Henri, vous êtes avec nous? Une voix me tire de mes pensées.
- Euh... Oui monsieur Novarra, excusez-moi, je... Je réfléchissais à ce que vous étiez entrain de dire. Je bredouille, sans doute rouge écarlate.
Je dois arrêter de me mettre à divaguer pendant les cours, j'ai des lacunes à rattraper. En plus, je me suis fait lamentablement reprendre à l'ordre. J'aurai tout le loisir de repenser à notre échange avec Lyla à la maison, tout à l'heure. Enfin, pas trop quand même, je ne dois pas non plus me faire du mal avec ça et encore moins me faire des films.
- Très bien, avec qui souhaitez-vous faire votre exposé alors ?
On doit faire un exposé? Merde, j'aurais vraiment dû suivre !
- Il a pas de potes le ringard, il va le faire avec ses livres ! S'exclame un gars au fond de la classe.
Très pertinent. Bravo.
- C'est mort, personne veut se mettre avec un plouc pareil !
- C'est clair, la honte si on nous voyait avec l'intello! S'écrie une brune maquillée à outrance.
Je commence à ouvrir la bouche pour dire à mon professeur qu'en effet, au vu des compétences de mes chers camarades, je souhaite faire l'exposé seul, mais je suis coupé par une petite voix.
- Monsieur Novarra, je voudrais faire équipe avec Henri pour cet exposé.
Oh... Non pas ça... Ne me fais pas ça s'il te plaît... J'ouvre la bouche pour refuser poliment, mais je suis une nouvelle fois coupé.
- Très bien Lyla, merci de tout faire pour intégrer votre nouveau camarade à votre classe. Et quant à vous, Jessica, Rémi et Enzo, vous viendrez me voir à mon bureau à la fin du cours.
Mes oreilles bourdonnent. Je vais devoir travailler avec Lyla pour notre exposé. Je devrais peut-être sécher l'histoire jusqu'à la fin de mes jours? Je me retrouve dans une position délicate. Faire équipe avec Lyla relève du supplice ! Il ne faudra pas dépasser les limites, mais en même temps je ne veux pas la blesser en me montrant totalement indifférent à elle. Est-ce que ça la blesserait d'ailleurs? Peut-être pas. La scène de ce matin me revient en tête. Elle avait quand même l'air de me chercher... Je soupire et me concentre à nouveau sur Monsieur Novarra.
- Bien, maintenant que les binômes sont créés, vous allez pouvoir choisir le thème de votre exposé. Pour faciliter la tâche, vous allez changer de place pour vous rapprocher de votre binôme. Rémi, allez à côté de Dylan, Lyla venez à côté d'Henri...
Je n'entends plus le reste de sa phrase. Je me retourne doucement vers Lyla et le monde s'arrête de tourner une nouvelle fois. Elle me regarde de ses grands yeux verts interrogateurs, comme pour me demander la permission de venir à côté de moi. Mais bien sûr que je t'autorise à venir près de moi ! Même sur moi si tu le veux ! Chut, allez reprends-toi mon vieux. Pour toute réponse, je me retourne face au grand tableau noir en soupirant. Ça ne va pas être facile.
J'entends Lyla s'approcher timidement en se prenant les pieds dans les lanières des sacs posés par terre. Après ce terrible périple, elle pose ses affaire sur la table, à ma droite.
- Euh... J... Je peux?... Elle semble affolée. Je fais si peur que ça?
Je lui fais signe de s'installer en guise de réponse, en prenant soin de garder un air indifférent sur le visage. J'espère que mes yeux ne me trahissent pas. Je me concentre donc pour l'éviter du regard. Elle se lance timidement :
- J'espère que ça ne te dérange pas que...
- Je n'ai pas vraiment eu le choix. Je la coupe froidement, ce qui me laisse un goût terriblement amer dans la bouche. J'ai tellement envie de lui dire que j'en suis ravi...
- Oh... Elle semble mal à l'aise.
Super Henri, très perspicace. Bien sûr que tu la mets mal à l'aise ! Mais, très courageuse, elle continue :
- Tu souhaite traiter un thème en particulier?
- Non. Je réponds d'un air détaché, totalement indifférent à elle, ce qui est un exercice bien difficile.
Son odeur, fraîche et légèrement fruitée commence à venir narguer mes narines. J'ai envie de fourrer mon visage au creux de son cou, de respirer son odeur, de m'enivrer du parfum de ses cheveux.
- On a qu'à faire un exposé sur le vernis à ongles framboise pailleté que vient de sortir Sophora?
Je lève brusquement la tête vers elle. Quoi? Du vernis? Une lueur amusée illumine son regard. Je retrouve ma belle inconnue du soir de Noël. Drôle, imprévisible, déroutante. Un petit sourire malicieux aux lèvres, elle reprend :
- Ça ne te plaît pas comme idée?
- Ce n'est pas exactement ce à quoi je m'attendais. Je lui répond en la regardant droit dans les yeux, ce qui la fait rougir. Et moi aussi je crois.
Elle se ressaisit et me demande, sans se laisser démonter :
- Tu t'attendais à quoi? Les sourcils froncés, elle a posé son menton au creux de sa main, et me scrute cherchant à pénétrer dans mon cerveau pour trouver la réponse à sa question.
C'est vrai, je m'attendais à quoi? Quel thème, autre que les vernis, pourrait l'intéresser?
- Je ne sais pas.
C'est la seule réponse qui me vient à l'esprit.
- Tu aimes quelque chose en particulier? On pourrait peut-être s'en inspirer pour trouver une idée.
Eh bien, la musique, l'écriture, tes yeux, ton air malicieux, tes réponses déroutantes... J'aime tellement de choses si tu savais Lyla... Devant mon absence de réaction, elle soupire et se redresse, avant d'attraper le livre posé sur ma table.
- La Peau des Hommes de Willi Heinrich? C'est quoi?
Mon livre préféré.
- Un livre. Je prends soin de lui répondre indifféremment. C'est terriblement difficile.
Elle me regarde, légèrement agacée.
- Je ne suis pas une idiote, Henri.
Oui, elle a raison.
- C'est un livre sur la Seconde Guerre Mondiale. On y découvre la vie d'une escouade de soldats allemands qui combat sur le front de l'Est en 1943.
- Eh bien, on a trouvé le thème de notre exposé je crois ! Elle s'exclame en brandissant mon livre comme un trophée.
Elle est drôle à regarder. Ça me fait penser à ce soir de Noël. Je la revois, trempée jusqu'aux os, levant les mains au ciel comme pour maudire je ne sais quel dieu de la météo.

Lyla a fini par décréter que nous allions travailler sur ce thème, même si je doute qu'il la fasse vraiment vibrer. Elle a sans doute voulu me faire plaisir, et je dois avouer que je suis flatté par son attention à mon égard.
Maintenant que je travaille en binôme avec Lyla, je dois être très vigilant et ne pas me prendre à mon propre jeu, au risque de devoir être trop cinglant avec elle si elle tente d'en savoir plus sur moi. Ça me parait compliqué. Pour le moment, je dois vite rentrer à la maison rejoindre papa pour répéter une dernière fois ma chanson. Je l'enregistre demain après-midi et je n'ai pas droit à l'erreur. Alors que je m'éloigne du lycée, j'entends quelqu'un me courir après.
- Henri ! Henri attends haaaaaaa !
Je me tourne et attrape Lyla au vol avant qu'elle ne heurte le sol. Elle relève la tête vers moi, rouge de honte.
- Tu... Euh je.... J'ai glissé euh... Merci Henri. Et tiens, tu as dû oublier cette feuille sur ta table. Elle me tend une feuille pliée en quatre que je reconnais aussitôt. Je l'attrape un peu trop violemment et je m'empresse de lui demander, furieux contre moi-même et contre le monde entier.
- Tu l'as lue?
- Non, non je... Enfin non... Elle semble gênée.
Je souffle et me retourne sans un mot de plus pour me diriger vers ma voiture. Je lui jette un dernier coup d'œil en m'éloignant. Elle n'a pas bougé d'un cil, rouge comme une pivoine.

A-t-elle lu ce qui est écrit sur cette feuille? Elle avait l'air terriblement embarrassée. Était-ce parce qu'elle avait failli tomber? Ou parce qu'elle me mentait? Je ne sais rien. Tout ce que je sais, c'est que je tiens dans ma main les paroles de ma nouvelle chanson. Celle-là même que j'enregistre demain...

Le Secret d'Henri - L'inconnue du Café ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant