Chapitre 6 : Conversation nocturne

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Deux semaines se sont écoulées depuis que j'ai craché ces mots cinglants au visage de Lyla. Depuis, je dors très mal la nuit. Mes mots résonnent dans ma chambre alors que je suis seul dans le noir. Je me relève souvent pour descendre au salon et jouer quelques musiques au piano. C'est le seul remède que j'ai trouvé pour apaiser la brûlure qui me ronge le cœur.
Cette nuit, mes doigts entament The Scientist de Coldplay sans que je sache trop pourquoi, et je fredonne l'air doucement. Les notes m'envahissent petit à petit et je finis par chanter, déversant ma douleur dans le salon obscur, à peine éclairé par la lumière de la lune qui filtre à travers les rideaux. Lorsque je chante la dernière note, la réalité revient peu à peu en moi et je lache un juron en passant ma main dans mes cheveux.
- Eh bien fiston, ce n'est pas un mot que je t'ai appris...
Je sursaute. Depuis quand est-il là?
- Papa.
- Écoutes Henri, c'est pas que ... Toutes les nuits je suis réveillé par tes musiques tristes, qu'est ce qu'il se passe?
- Je n'ai pas envie d'en discuter. Dis-je en me levant.
Il attrape ma main d'une poigne que je ne peux ignorer.
- Vous vous êtes disputé quand?
-Lundi dernier.
Ma voix est étranglée. Je continue tout de même.
- On ne s'est pas vraiment disputé. Je lui ai fait comprendre qu'il n'était pas bon de m'approcher.
- Elle à l'air de déjà beaucoup compter pour toi...
Le ton qu'il emploie est lourd de sous entendus. Je me tourne vers lui pour lui faire face et remarque son expression grave. Il continue.
- Écoutes fiston, je m'inquiète pour toi, c'est pourquoi j'ai... Discuté avec... Marcus et Jérôme... Pour savoir si ils avaient remarqué quelque chose d'étrange. Et Jérôme m'a fait part des recherches que tu lui avais confié... En décembre...
J'en veux un peu à Jérôme sur le coup. Mais après une seconde de réflexion, je décide de tout raconter à mon père, les yeux dans le vague.
- C'était le soir de Noël. Je suis sorti prendre l'air mais il s'est mis à pleuvoir alors je me suis abrité sous le auvent d'un café. C'est là qu'elle est arrivée... Elle était si petite sous son énorme capuche... Elle m'a fait sourire à l'instant où je l'ai vue, les bras en l'air entrain de maudire le ciel. Elle était complètement trempée, et moi aussi. Le serveur nous a proposé d'entrer au sec mais les plombs ont sauté. Alors on est restés tous les deux assis à une table, à discuter dans le noir. Elle s'adressait à moi comme si elle me connaissait depuis toujours. A chaque phrase elle me surprenait un peu plus. Elle est si fraîche et drôle, elle me désarçonnait à chaque instant... Et puis j'ai vu ses yeux briller dans la nuit. Elle a de grands yeux verts qui pétillent. Ils sont magnifiques. Je n'ai rien vu d'autre que ses yeux ce soir de Noël. Je ne sais comment, elle a deviné mon malaise. J'étais entrain de me poser des questions sur mon avenir, la tournée, mes études... Et en quelques mots, elle m'a aidé à y voir plus clair. Lui parler me faisait tellement de bien. Et puis nous avons dû nous quitter. Je ne savais même pas son prénom. Je ne sais pas si elle a reconnu les traits de Jay. Je ne pense pas. Les jours passaient et je pensais toujours à elle, ma mystérieuse inconnue du café obscur. Alors j'ai demandé à Jérôme un petit service. Il est vraiment fort, parce que je ne l'ai pas gâté niveau indices. Et un jour il m'a appelé pour m'annoncer qu'il avait retrouvé la trace de Lyla... C'est pour ça que je t'ai tanné pour aller dans ce lycée précisément. Le jour de la rentrée, je l'ai enfin revue. Après des mois à penser à ses mots, à m'imaginer ce que pouvaient être les traits de son visage, elle était la, devant moi. J'ai immédiatement reconnu sa petite voix. Elle était belle à en couper le souffle. Je m'étais interdit de lui approcher, mais elle a fait le premier pas vers moi. Elle a voulu faire l'exposé d'histoire avec moi. A chaque moment passé avec elle, je repousse un peu les limites que je me fixe... Mais un jour je vais les franchir. Et ce sera trop tard. Il vaut mieux pour elle que nous ne soyons pas amis.
Mon père m'a écouté attentivement, ne perdant pas une miette de mon récit. Il se contentait de hocher la tête ou de sourire de temps à autres.
- Je comprends mieux maintenant. Mais quelque chose me chiffonne.
Je lève un œil interrogateur vers lui.
- Pourquoi tu m'as dit tout à l'heure qu'il n'était pas bon de t'approcher?
- Comment veux-tu qu'elle supporte quelqu'un qui lui ment? Je lui cache trop de choses papa, ça la ferait souffrir. Je serais incapable de lui justifier mes absences.
- Tu ne veux pas vous laisser une chance ? Écoutes, de ce que tu me dis, j'ai l'impression que c'est une chouette fille. Et tu as besoin d'elle, n'est ce pas?
Je hoche la tête.
- Et elle, comment elle a vécu ces deux semaines?
- Je ne sais pas... Bon c'est vrai qu'elle m'a parue fatiguée. Et Jasmine me regardait amèrement.
- Parce que son trouble était lié à toi... Je suis sûr que tu lui manques aussi...
Je soupire.
- Papa, j'ai peur.
Il garde le silence, semblant chercher ses mots.
- J'ai peur que Jay prenne le dessus sur moi et me fasse disparaître...
- Non fiston. Je l'arrêtai avant qu'il le fasse. Tu gères très bien la situation pour l'instant ! Jay n'est qu'un personnage public.
- Tu sais, j'ai rêvé que... Que Lyla tombait amoureuse de Jay.
- Tu la penses capable d'aimer seulement ton côté Jay ? Ou tu en as peur ?
Je réfléchis un instant.  Il est vrai que j'ai l'impression de lui plaire. Et elle ne m'a jamais parlé de Jay comme une grande fan.
- Je devrais aborder le sujet de Jay pour voir comment elle réagit... Peut-être qu'il ne lui plaît pas en fait...
Mon père sourit.
- Mais avant ça, tu as des excuses à lui présenter...
Je lui souris à mon tour et me lève. Avant de quitter la pièce je me tourne vers lui.
- Merci papa. Et désolé pour... Le réveil...
Il rit et se dirige vers la cuisine.

Quand je remonte dans ma chambre, mon cerveau tourne à plein régime. Comment faire pour que Lyla me pardonne? Un cadeau? Non trop tôt. Une sortie peut-être? Je souris à l'idée de passer un moment près de Lyla. Il ne faut pas quelque chose de trop romantique. J'oublie l'idée du restaurant et du cinéma. Une virée en ville pourrait peut-être lui faire plaisir? Oui, elle adore le shopping. Satisfait de mon idée, je souris puis vais me coucher.

Durant tout le trajet jusqu'au lycée, j'ai répété les mots que j'allais dire à Lyla pour m'excuser. Je m'approche maintenant d'elle doucement, le cœur battant et les mains tremblantes. Elle est dos à moi, si bien qu'elle ne me voit pas arriver. J'ai la bouche terriblement sèche. Seuls quelques pas nous séparent mais d'un coup, tout s'écroule. Un gars aux cheveux châtains s'approche de Lyla et la prend par la taille en lui murmurant à l'oreille. Je me fige. Mon sang semble avoir déserté mon corps et je frissonne. Ne pouvant supporter cette vision d'horreur, je ferme les yeux.

Le Secret d'Henri - L'inconnue du Café ObscurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant