Overdose

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Le froid s'infiltrait à travers la fenêtre à peine ouverte du petit appartement et de lourds nuages recouvraient le ciel de leurs épaisseurs. Le vent soufflait si fort que les feuilles des arbres semblent gémir, transies de froid et condamnées à frissonner pour une durée indéterminée.
Clark serait-il devenu une feuille, lui aussi ? Il frissonnait de froid, mais également de peur; une peur absurde et incontrôlable, une angoisse si forte et si intense, qu'elle lui glaçait les membres un à un. La panique le gagnait, lui serrant les entrailles et lui donnant des sueurs froides.
Clark baissa la tête et regarda les outils de torture, ces petites choses destinées à le faire souffrir, a lui ouvrir la peau et à s'infiltrer dans son organisme faible et dépendant. Il pouvait déjà imaginer le liquide incolore pénétrer dans son métabolisme. Il tremblait, ses doigts se crispaient sur l'embout qui maintenait l'aiguille à quelques centimètres de sa peau. Le jeune homme approcha doucement la seringue de son bras, fixant de ses yeux apeurés l'objet qui s'avançait sadiquement vers sa peau blanche, déjà souillée par d'autres légères traces de piqûres.
Soudain, de terribles soubresauts le parcoururent, tel une feuille violemment secouée par le vent. Il serra la seringue aussi fort que sa main fragile lui permettait, essayant de garder contenance. Il ne voulait pas sombrer dans la folie qui le gagnait, pas encore ! La dernière fois, il avait failli y rester. C'était Dylan qui l'avait retrouvé inconscient, dans sa baignoire. S'il était arrivé cinq minutes plus tard, il ne serait plus de ce monde à l'heure qu'il est.
Non, il ne voulait pas sombrer. Il voulait garder espoir, ne pas désespérer, ne pas lâcher prise. Ne pas être faible, ne plus être dépendant. Mais c'était plus fort que lui, il n'y arrivait pas. Il en était incapable.
Son regard glissa à nouveau sur la seringue qu'il serrait à faire blanchir ses jointures, l'agrippant comme si sa vie en dépendait. Peut-être que c'était le cas ?
Le visage de sa sœur s'imposa alors dans son esprit.
Calypso...
Un pincement au cœur suivi d'un mal de crâne que Clark essaya d'apaiser en plaquant sa main libre sur sa tête, dans l'espoir naïf qu'il atténuerait la douleur; même si depuis le temps, il savait pertinemment que ça ne marcherait pas. Il n'y avait qu'une façon de calmer cet horrible mal de tête.
Ses yeux fous se posèrent une nouvelle fois sur la seringue qui se tenait dans sa mais tremblante, l'aiguille toujours pointée vers son bras qui semblait n'attendre que ça.
Il était faible... Tellement faible.
D'un mouvement brusque et sec, Clark planta l'objet de torture immonde et insalubre dans son bras, appuyant de toutes ses forces sur le piston pour évacuer la kétamine et l'injecter à l'intérieur de son propre corps. Ce dernier se convulsait déjà rien qu'aux premières gouttes qui coulaient dans ses veines et dont il adorait s'abreuver.
Le vent se mit à souffler plus fort, sa fenêtre claqua contre le mur dans un choc terrible.
Pourtant, Clark n'avait plus froid.

Deux enfants, une fille et un garçon, couraient sur la plage. Le petit garçon en tête, la gamine le suivait de près mais arriva après lui auprès d'une femme blonde en maillot de bain, allongée sous un parasol. La mère des deux marmots, sans doute.
- J'ai gagné la course, j'suis le meilleur ! s'écria le garçon aux cheveux châtains
Sa petite sœur ne prît pas la peine de lui répondre et alla se lové dans les bras de sa génitrice.
- Maman, Clark il m'embête ! Il veut jamais me laisser gagner ! se plaint-elle d'une mine boudeuse.
De nature pleurnicharde, la petite n'allait pas tarder à pleurer. Aussi, la mère passa une main dans la chevelure bouclée de sa fille, lui expliquant que son frère étant de deux ans son aîné, il était normal qu'il court plus vite qu'elle et lui assura que la prochaine fois, ce serait elle qui gagnerait la course.
Son frère l'avait consolé, lui aussi.
- Si quelqu'un t'embête, je le tue. Personne à le droit t'embêter, Caly. C'est pour ça que je cours très vite. Pour te protéger, tu comprends ?
L'explication de Clark ne tenait pas vraiment la route, mais Calypso aimait l'idée que son frère soit là pour la protéger.
- Donc ça veut dire que tu me protégeras toujours ?
- Toujours.
- Promis ?
- Promis.
Ils se serrèrent le petit doigt, comme pour sceller leur accord. Décidée à prendre sa revanche, la fillette lança :
- Concours de châteaux de sable !
Et les deux enfants étaient partis en courant, riant aux éclats, sous le regard attendri de leur maman.
.....
- Et surtout si t'as un problème, une meuf qui te parle mal ou un mec qui te casse les couilles, tu m'appelles. Compris ?
Deux adolescents étaient sur le pas de la porte d'une maison immense, d'où s'échappait une musique entraînante.
- Oui, c'est bon j'ai compris. Ca fait dix fois que tu me répètes la même chose, Clark !
- On sait jamais ce qui peut se passer. Il pourrait t'arriver n'importe quoi !
- Mais non, t'es parano. De toute façon, tu es là pour me protéger. avait-elle répondu avec un clin d'œil
Les deux enfants avaient bien grandi.
Clark, jeune adulte, avait fêté récemment ses dix-huit ans. Il sortait à peine de l'adolescence, n'avait plus d'acné ni d'appareil dentaire et sa voix avait mué : la gente féminine se l'arrachait.
Du haut de ses seize ans, Calypso ne laissait pas non plus les garçons de son âge -et même les plus âgés- indifférents. Elle avait désormais un corps de femme, une voix mielleuse et des lèvres faites pour être baisées. Bien décidée à profiter de sa première soirée, même si son grand frère était aussi de la partie, elle avait revêtu sa plus belle robe, chaussé ses escarpins les plus vertigineux et s'était appliquée à maquiller sa bouille d'ange.
Une fois entrés dans la maison, l'ambiance festive a pris le dessus. Lui est parti boire un coup avec ses amis tandis qu'elle est directement allée rejoindre ses copines sur la piste de danse.
Alors comment ?
Comment Caly s'est-elle retrouvée dans le garage, entourée de mecs bourrés de mauvaises intentions, obnubilés par son corps ?
Comment avaient-ils pu lui voler son bien le plus précieux ?
Ce soir là, elle avait perdue sa virginité, sa dignité, l'estime d'elle-même. Clark pendant ce temps était trop occuper à boire et discuter avec ses amis. Le temps qu'il se rende compte de sa disparition, le temps qu'il l'a retrouve; le mal était déjà fait. Il l'avait trouvé dans le garage, seule, allongée à même le sol, recroquevillée sur elle-même sanglotant. Sa robe était en lambeaux, son mascara avait coulé, son sourire avait disparu. Il s'était précipité vers elle, l'avait recouvert de son blouson, lui avait chuchoté des mots doux et tous deux étaient rentrés chez eux.
Cette nuit là, Calypso ne pût dormir et pleura jusqu'au matin. Elle se sentait souillée, salie, humiliée. Son frère s'était efforcé de la consoler, en vain. Quel genre de frère était-il ? Il l'avait abandonné toute la soirée pour boire avec ses amis, au lieu de surveiller sa petite sœur ! Il lui avait fait une promesse, et il n'avait pas su la tenir.
Il n'avait pas pu la protéger.
Clark essaya de se convaincre qu'avec le temps, sa sœur irait mieux, qu'elle remonterait la pente, qu'elle irait de l'avant. Mais au contraire, elle allait de moins en moins bien. Elle ne mangeait plus, ne sortait plus, n'osait même plus le regarder dans les yeux. Elle devînt muette. Il l'avait même surprise entrain de se mutiler.
Un jour, il trouva une lettre d'adieu sur la table de la cuisine. Il se rua dans sa chambre, mais c'était trop tard.
Des seringues, des flacons, de la poudre blanche, des pilules, un corps inerte.
Overdose.
Calypso s'était suicidée.

Dylan était dévasté. Son ami de toujours, son acolyte, son frère de cœur avait rendu son dernier souffle.
Overdose.
Dès qu'il était entré chez lui, il avait eu un mauvais pressentiment. Son appartement était dans un état monstre : la fenêtre était ouverte -le vent souffla si fort que son corps se glaça d'un coup-, des bouts de verres jonchaient le sol, des vêtements traînaient de partout, une odeur bizarre flottait dans l'air... Et Clark était là. Allongé sur son canapé, une seringue dans la main droite, des multiples traces de piqûres le long de son bras. À ses pieds un paquet de clopes, une bouteille de vin parmi d'autres et une photo.
Dylan s'approcha pour voir de plus près de qui il s'agissait.
Évidemment...
Il reconnût tout de suite les cheveux bouclés et les yeux verts de la jeune fille.
Elle.
Toujours cette Calypso. Alors c'est à elle qu'il pensait avant de quitter ce monde ? C'est à cause d'elle, qu'il s'était fait du mal comme ça ? Dylan n'avait jamais compris pourquoi il pensait autant à elle, pourquoi il l'aimait autant.
Elle ne le méritait pas. Lui le méritait. Il s'était tant de fois soucié de Clark, l'avait toujours épaulé dans les moments difficiles, l'avait toujours soutenu même quand personne ne croyait en lui et en retour c'est tout ce qu'il avait ? Rien ?
Dylan eût un rire nerveux. Si Clark n'était plus de ce monde, à quoi bon rester là ?
Il n'avait plus de raison de vivre maintenant.
Il prît la seringue de la main de son ami, et injecta son contenu dans ses veines.
Un vent frais, glacial souffla une nouvelle fois, faisant claquer la fenêtre contre le mur.
Pourtant , Dylan n'avait plus froid.

"La drogue est un doux poison, délicieusement sucré, qui vous tue à petit feu."

OverdoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant