IX. Repos

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Son regard était aussi glacial que celui que posséderait le blizzard. Un regard qui inspirait l'effroi et le respect. Sa main posée sur mon avant-bras était chaude, ou plutôt chaleureuse, mais son expression semblait dire tout le contraire.
Ses yeux étaient plissés et semblaient me jauger sous tous mes angles. Ils m'analysaient, cherchaient à comprendre qui j'étais, ce que je ressentais, ce à quoi je pensais.
Puis, d'un seul coup, un sourire maternelle se déposa sur son visage. Ce changement brusque d'expression me déstabilisa au plus haut point. On aurait dit qu'elle me connaissait depuis des années, comme si elle retrouvait une connaissance, ou qu'elle avait enfin acquit son objectif.

La vieille femme jeta un coup d'œil à sa droite puis à sa gauche en s'assurant que nous étions seuls, puis nous fit signe d'entrer dans sa modeste demeure.

Je ne fus pas surprise en découvrant l'intérieur de la masure, elle n'était ni plus ni moins ce qu'elle m'avait laissé découvrir d'elle auparavant par son carreau. Son foyer brûlait encore vivement, apportant la chaleur nécessaire à la pièce, ainsi que le peu de lumière que la lucarne ne diffusait pas.

Happée par l'ambiance si sereine qui émanait de l'endroit, je n'avais pas remarqué les voix qui commençaient à devenir amicales.

— Vous prendrez quelque chose de chaud ?
— Je veux bien, oui !

Puis les voix se turent. Le silence était pesant sans aucune raison apparente.

— Phoebe ? Tu nous entends ?
— Euh, oui. Désolée.

Je n'avais rien suivit de la conversation et je ne connaissais nul point de leur discussion. Ils étaient tous deux là, debout et fixes devant moi. Ils m'observaient comme si je venais d'ailleurs, comme un être recueilli qui ne comprenait pas un mot de leurs paroles.

— Oui ? Ou non ?

Runi me posa sa question en croisant les bras, d'un air plutôt sévère.

— De quoi, oui ou non ?

Je l'imitai en fronçant les sourcils, éprise par l'incompréhension soudaine.

— Eh ! Pas besoin de faire cette tête ! Tu veux quelque chose de chaud à boire, oui ou non ? C'est pas compliqué !
— Oh, excuse moi. Oui, je veux bien.

Je me sentie nulle tout à coup. Je m'étais placée sur l'offensive alors qu'il n'y en avait pas lieu d'être. Cette boisson chaude me ferait le plus grand bien, cela faisait déjà deux jours que nous n'avions rien avalé de chaud. Heureusement que le climat était en notre faveur, car sans ça nous serions déjà frigorifiés.

Tout en mettant la théière sur le feu, la vieille femme nous regardait, puis le silence de ma honte fut coupé.

— Savez-vous pourquoi vous êtes ici ?

Runi me devança et prit la parole.

— Absolument pas, nous n'avons que des bribes de souvenirs.
— Hm, je vois.

Elle revint vers nous, prit une chaise pour s'assoir autour de la table en notre compagnie.
Son air devint tout à coup plus sérieux qu'attendrissant et elle déposa ses bras, croisés, sur le bois brut de la table.

— J'ai bien l'impression que vous ne comprenez pas l'enjeu de votre présence ici. Mais tout d'abord... avez-vous rencontré des personnes, ou autre chose en venant ici ?

Runi répondit du tac au tac sans me consulter.

— Non, nous n'étions que tous les deux. Enfin... à notre réveil, une dizaine de jeunes de notre génération était présents, mais ils sont tous allés dans de diverses directions, on ne les a pas revus depuis.

Je ne savais pas si je devais parler de ma nuit, ni de ce que j'avais appris, ni de ce que ma mère m'avait laissée comprendre. J'eus l'impression que Runi ne disait pas, tout ce dont il pensait, est-ce qu'il savait que je lui avais menti ?

— Hm... oui, je l'ai appris. J'imagine que c'est pareil pour toi, Phoebe ?
— Euh... oui. Enfin, ...
— Je t'écoute ?

La vieille femme baissait légèrement la tête sur le côté, signalant son incompréhension, ou son manque de patience à l'égard de mes inquiétudes. Je me demandais si je pouvais lui faire réellement confiance. Et si ce n'était pas la bonne personne ?

—Je crois avoir vu des êtres étranges... et je ne les avais jamais vus avant. Je me suis réveillée une nuit et je les ai vu voler dans les airs, illuminées par des teintes bleutées... Elles n'étaient pas méchantes et m'ont même aidé à trouver mon chemin, mais je n'en avais pas connaissance avant d'arriver par ici.

Sans m'interrompre, Runi me regardait avec des yeux étranges. On aurait dit que je parlais une autre langue.
Mais je voulais en finir au plus vite et je décidais alors de ne pas me laisser distraire par son étonnement.
Je continuais alors de raconter tout ce que j'avais pu voir pendant mon expédition nocturne jusqu'à la dernière partie. La raison de ma présence ici.

L'Arracheur de Rêves. [En cours] #Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant