X. Bruit (Part. 2)

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  Après une dizaine de minutes à marcher en enjambant les quelques troncs et autres bouquets de ronces étendus sur le sol mousseux, la lumière se faisait de plus en plus dense. Les arbres se faisaient de moins en moins nombreux et l'herbe apparaissait petit à petit. Runi avançait en écartant les quelques branchages qui entravaient le chemin.

Je m'apprêtais à me réjouir d'être sortie de ces bois quand Runi me barra la route.

— Chut Phoebe, pas un bruit. Il se pourrait qu'on ne soit pas seul à en croire les bruits de canon, tu te souviens ?

J'acquiesçais poliment en lui emboîtant le pas.
C'est vrai qu'il ne fallait pas oublier ce détail, et si ceux dont m'avait parlé mère étaient là ?

Nous avancions à pas de biche, scrutant l'horizon. Runi était devant moi comme pour me protéger, son bras me barrant le chemin ou barrant un quelconque danger.
Soudain, un craquement de bois résonna derrière nous et mon cœur commença à battre à toute allure. J'eus cru qu'il voulait sortir de ma poitrine et s'enfuir en s'envolant loin dans les airs.
Runi tourna la tête dans la direction opposé, le regard projeté sur la scène qui se passait derrière moi.
Son visage n'avait pas l'air effrayé ni contrarié.
Son regard était énigmatique comme à son habitude, mais une lueur brillait en eux.

Je ne savais pas s'il fallait que je me retourne moi aussi. J'essayais d'analyser l'expression de Runi, tentais de croiser son regard, s'il daignait dévier en ma direction, mais l'adrénaline qui montait en moi me fit réagir en quelques secondes.

Je pris alors l'initiative de me retourner et je vis enfin l'objet de son étonnement : notre hôte se tenait là, pieds à terre et lièvre en mains. On devinait sur son visage un sentiment de colère, mais aussi de joie, un mélange déconcertant.

— Que faites-vous ici ?

Son regard était sévère, mais son ton véhiculait son étonnement. Runi prit la parole avant même que je puisse réaliser notre situation.

— Et bien, nous nous sommes réveillés et vous n'étiez plus là alors nous nous sommes dit que...

La vieille femme le coupa net.

— Vous vous êtes dit que j'avais disparu et qu'il serait bon de partir à ma recherche comme si je n'avais pas toujours habité ici ?
— ... nous nous sommes dit que vous ne seriez pas très loin et que l'on pourrait vous aider pour quoi que ce soit et puis nous avons entendu un coup de feu alors on s'est inquiétés...
— Vous êtes très vaillants. Mais j'aimerai vous rappeler que vous n'êtes en sécurité nul part ici... et surtout toi.

Elle me pointa de son index comme s'il était aimanté à moi. Je déglutis difficilement, me rappelant les mots de mère. Je suis une proie...

— Quoi qu'il en soit nous avons notre repas de ce soir et le crépuscule menace de tomber très tôt alors nous ferions mieux de rentrer de suite.

À ces mots, elle se tourna, toujours le lièvre en bout de bras et avança en direction de la maisonnette.
Nous la suivirent comme des canetons suivant leur mère, plus sereins qu'à l'allée.

Le chemin du retour nous paru beaucoup plus court que l'allée. Et elle avait raison, le crépuscule tombait et les astres commençaient à éclaircir les feuillages d'un bleu mystique. Le ciel optait pour un ton plus ambré et le contraste était magnifique. Je n'avais jamais vraiment levé la tête vers ce spectacle. Je n'avais jamais admiré les couleurs que le crépuscule amenait.
Runi avançait au même rythme que notre hôte comme si lui aussi était habitué à ces nuances, à cette merveille.

J'aperçus enfin le toit de la chaumière accompagné d'un léger nuage fumant de la cheminée. Nous entrions dans la cuisine et la femme se mit à briser notre silence.

— Je vais aller le dépecer et le préparer. Sauf si vous souhaitez m'accompagner, je vous propose de mettre le couvert à table. Je ne serais pas longue.

Runi releva la tête et s'exprima de vive voix.

— Je veux bien venir vous aider ! J'apprendrais comme ça.
— Et bien soit. Phoebe, tu viens ?

Une moue de dégoût se dessina rapidement sur mon visage, j'avais horreur du sang.

— E-Euh... non merci... Je vais mettre le couvert en vous attendant, c'est préférable...
— Bien. Fais comme chez-toi. Je n'ai pas énormément de meubles, tu devrais t'en sortir pour trouver des couverts pour nous trois. Ne casse rien s'il te plaît.
— O-Oui, oui ! Vous pouvez compter sur moi !

Est-ce qu'elle venait réellement d'insinuer que je ne savais pas mettre le couvert ? Que j'étais maladroite au point de casser des assiettes ?
Je rêve ! Comme si je leur étais inutile... il est vrai que j'ai peur mais je ne suis pas une incapable.

Une larme commença à perler aux creux de mes yeux et je sentis la gouttelette chaude ruisseler le long de ma joue jusqu'à s'écraser sur le sol.
Il fallait que je me reprenne en main. Ce n'est pas en pleurant que je rentrerai chez moi... Kannha...la cité de mère, ma cité.

J'essuyai d'une main les larmes qui avaient coulé sur mes joues et je commençai à chercher la vaisselle. Mon regard se dirigea vers les quatre murs qui m'entouraient, comme à mon arrivée dans la bâtisse.

L'Arracheur de Rêves. [En cours] #Wattys2019Où les histoires vivent. Découvrez maintenant