Maison

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J'ouvre les yeux.
Je reconnais cet endroit... je suis chez moi. Enfin, pas le chez moi des souvenirs, mais je me sens réellement chez moi. J'ai la tête qui tourne un peu, mais autre chose me perturbe au plus haut point. Je descends doucement du lit dans lequel je me suis réveillé, et cherche la source de mon malaise. Et puis soudain je comprends.

Je ne suis plus seul. Et ça fait à la fois un bien fou et une sensation étouffante.

J'observe à la dérobée l'adolescent qui me tourne le dos. Il a une belle aura, de couleur jaune dorée, marbrée de orange. Sa tête est entourée d'un halo vert mousse. L'interprétation des couleurs me vient naturellement. Il a un caractère doux et bienveillant, et surtout une excellente mémoire. Une tâche rose légèrement blanche au niveau de son dos m'indique qu'il se sent coupable. Mais de quoi ?

L'inconnu se retourne.

Il n'est pas si inconnu que ça... dès que mon regard croise le sien, ses yeux commencent à pétiller. Il me regarde avec un air espiègle, auquel je tente de répondre, mais j'ai l'impression de le fixer bêtement. En plus, je viens de me rendre compte que j'avais la bouche ouverte pendant tout ce temps.

« Alors Théodore ? Bien dormi ? »

Alors comme ça mon prénom est Théodore ?
Il a l'air de mieux me connaître que moi-même. C'est agaçant.
J'essaie de lui répondre, mais mes cordes vocales refusent de vibrer. Un sentiment de frustration me gagne.
J'ai tant de question à poser !
Il faut absolument que j'arrive à m'exprimer... le désarroi doit se lire dans mes yeux, car j'entends une phrase inattendue : « Vas-y, tu peux me prendre ma voix. Mais prends en soin ! »

Décidément. J'adore mon frère. Maintenant que j'ai son autorisation, j'ai juste à ouvrir les vannes pour que sa voix traverse enfin ma gorge pour exprimer le fouillis de mes pensées :

« Toi c'est bien Naël ? Et moi Théodore ? Et on est bien chez nous ici ? D'ailleurs c'est où chez nous ? Pourquoi j'ai autant de souvenirs qui remontent à la fois ? Pourquoi je ne suis pas mort ? Pourq... »
Je m'arrête, désemparé. Naël, du moins je suppose que c'est lui, est effondré de rire. Sa réaction me vexe. Et j'ai horreur d'être vexé. Je lui lance un regard sombre avant de me rendre compte qu'il a besoin de sa voix pour me répondre.
Seulement il m'a vexé, et ne mérite certainement pas que je lui rende sa voix tout de suite.

Alors je le regarde droit dans les yeux, et je le provoque du regard une dizaine de secondes avant de sourire. Je ne sais même pas pourquoi. C'est perturbant, et en même temps très relaxant, je suis un peu confus...et j'en laisse échapper la voix, qui retourne à son propriétaire, au grand soulagement de ce dernier vu l'éclaircissement nette de son aura.

Alors il daigne enfin me répondre.

« Bienvenue à la maison, petit frère ! »
Et il passe sa main dans mes cheveux roux. Pour qui il se prend lui ? Ça va de me toucher sans prévenir ? Je n'ai qu'une envie, c'est de le frapper. Je ne sais pas pourquoi mais d'un seul coup ma vexation revient au galop avant de se muter en colère.
Il capte mon regard rempli d'éclairs et s'éclairci la gorge avant de me demander, sur un ton qui se veut enjoué : « Alors, Théodore, est ce que ton séjour à Junia a servi à quelque chose ? » son aura le trahit. Il est entouré d'une lumière bleutée caractéristique de l'anxiété. Je n'en reviens pas. Il a peur de la réponse ? Mais qu'est-ce que j'étais censée faire à cette Ju truc machin ? Et pourquoi ne veut il pas répondre à mes questions ?

Je laisse un silence. Volontairement. Parce qu'il n'a pas à me poser des questions. Les questions, c'est moi qui les pose. Et là, je ne veux même plus en poser. Je veux qu'il me réponde.

Devant mon silence, il finit par céder.
« Oui, je suis Naël, ton grand frère. Plus précisément je m'appelle Nathanaël et nous avons exactement un an de différence. Tu es bien chez toi ici, dans le Kosme principal. » je hausse un sourcil. Le Kosme ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
« Le Kosme, continue-t-il, est un monde passage. Il en existe trois : Pérasma est le principal, le secondaire est Métavasi et le tertiaire est Diadromos.
Les Kosmes sont des dimensions qui ont des accès ponctuels à toutes les autres dimensions.
On appelle ces accès des Portes. »
Je suis encore confus et en même temps, je ne peux que me blâmer, c'est moi qui ai demandé ! Et comme si ça ne suffisait pas, voilà que je sens une vague de souvenir de précipiter dans ma tête. Elle m'avait manqué celle-là alors ! Je la laisse pourtant englober mon esprit, je ne veux pas avoir mal.

Naël est avec moi. Nous sommes tous les deux effondrés dans la maison. Je pleure, il me serre dans ses bras. Je pleure encore plus sur son torse. Il faut que je me reprenne. Mais je laisse couler mes larmes. Et puis je vois des larmes ruisseler sur son visage. Il pleure. Et pour se calmer, il faut qu'il me serre. Encore plus. Je commence à lui voler sa peine, tout doucement. Il ne faut pas qu'il s'en rende compte. Son aura gorgée de bleu outre-mer tire maintenant sur le rose blanchâtre. Il se sent coupable, mais de quoi ? Mes pleurs redoublent. Je ne pensais pas qu'il aurait autant de tristesse accumulée. Ça fait mal. Toujours. Encore. Une douleur lancinante, mon corps est comme transpercé par des milliers de petites lames. Et il s'en rend compte. Il me lache d'un coup, il essaie de rompre le contact. Seulement, plus il résiste, et plus il est dur de rompre le lien. Je reste au sol, mon dos est secoué de tremblements, les larmes continuent de dévaler les pentes de mes joues, j'ai peur maintenant. Peur qu'il me rejette. Parce que le bleu marine qui l'entoure indique clairement qu'il a peur de moi. Et comme si ça ne suffisait pas, autour de ses tempes se forment des tâches bordeau. Il est en colère, et il n'est pas difficile de connaître la cause de cette colère. Il m'en veut profondément de lui avoir retirer cette tristesse, et je m'en veux de ne pas lui avoir demandé. Seulement je ne veux pas lui rendre. Je reste allongée dans un coin de la pièce. Mon corps est toujours secoué de spasmes. Alors, tout doucement, son aura revient au jaune doré que je lui ai toujours connu. Il revient vers moi, et pose ses mains sur ma tête. Et là, il fait aussi ce que je lui ai fait. Il me prend mon esprit, mes souvenirs. Pendant quelques secondes, il fouille dans ma tête pour en retirer la tristesse. Il absorbe tout cela, sans douleur, sans peine.
Il me regarde, les yeux teintés d'excuse et cherche à éviter mon regard. Le rose blanchâtre revient à la charge. Il s'en veut. Il ne sait pas qu'il ne m'a rien pris. Je me souviens de tout. Et maintenant, je connais même ses souvenirs. J'ai peur. Je me jette dans les bras de mon grand frère. Nous avons tout perdu. Nos parents, notre frère. On ne va pas tarder à nous retirer notre maison. Il ne faut pas qu'on nous sépare. Je ne le supporterais pas.

Je reprends doucement mon souffle. Naël reste figé devant moi, drapé dans un halo bleu marine. Il ne sait pas se qui vient de se passer. Et sa voix s'élève doucement, étouffée par la surprise :
« Qu'est ce que c'était ? Je... je ne... » son regard désemparé exprime ce qu'il n'arrive pas à prononcer. Alors je lui emprunte sa voix.

« C'était nous. Des souvenirs qui remontent. Depuis que je suis... passé. La mémoire me revient pas bribes. Je ne sais pas comment ou pourquoi j'ai perdu la mémoire, mais je commence à la retrouver»

Mais comment a-t-il pu y avoir accès ? Parce qu'il est évident à son regard et son aura violette indiquant son incompréhension qu'il a vu la même chose que moi.

Et puis je me souviens. Son pouvoir, c'est la mémoire. Il avait pu montrer ses souvenirs à nos parents pour leur montrer ce qui est arrivé à Hadrien. Il a essayé de voler les miens dans notre maison. Et il semble évident qu'il a pu capter les flashs que j'ai eu.

J'ai une idée. Est ce que son pouvoir pourrait m'aider ? Je le regarde, interrogateur : « Est-ce que... tu pourrais lire mes souvenirs ? M'aider à me rappeler de ma vie d'avant le ... passage ? » j'ai du mal à utiliser ce mot, c'est un vocabulaire tellement... familier et étranger à la fois...

Alors Naël me regarde, droit dans les yeux. Il avance doucement sa main vers mon front, semblant demander l'autorisation cette fois. Je lui accorde avec appréhension, et il pose son autre main sur mon épaule. Son aura change radicalement de couleur, elle devient jaune. Intensément jaune. Le jaune ambré du savoir et de la mémoire. Je m'abandonne à l'énergie qu'il me transmet.

UchroniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant