Je sursaute.
Je suis de nouveau moi.
Je ne m'était même pas rendu compte de ma mort.Encore une avant 30 ans. Mauvais présage, diraient les anciens.
Prise de risque, dirait ma mère.Je me souviens de la vie que je viens d'avoir. Et de celle dans laquelle je suis.
Tant mieux.
Je n'aurais pas besoin de Nathanaël.
D'ailleurs je devrais le chercher maintenant, il ne doit pas être loin.Je me lève, et regarde autour de moi.
Des traces d'aura restent accrochées sur les buissons non loin, et je commence à suivre sa trace.
Je déteste faire ça ; j'ai l'impression d'être un de ces chiens de l'armée...
J'aurais bien fini par l'être je pense, si je n'avais pas ma quête. Mon but.Et pour l'instant, si je veux accomplir mon but, je dois retrouver mon imbécile de frère.
Imbécile et prévisible.
Aura jaune fluo, naïveté.
Aura beige, prévisibilité.
Il est dans une grotte. Pourquoi ? Parce que la grotte, ça résonne, et quand on a pas de voix, il faut trouver un autre moyen de faire du bruit. De se rassurer.J'en sais quelque chose. Handicap.
Je laisse mon esprit vagabonder, à la recherche des pensées de Naël.
Je le trouve instantanément.
Il y a un problème.
Il crie, il hurle dans sa tête, il ne peut pas se calmer, ses pensées sont désordonnées :
« Coureur... je dois... où est Silence ? Théodore !!! J'ai perdu ma voix... »
...Larmes...
« J'ai mal... »« J'ai mal. »
Je cours, je lui rends sa voix, je tends l'oreille, je vais sauver ma famille. Et quoique j'en dise, il en fait partie.
Il a retrouvé sa voix.
Cris.
Je m'empare de l'esprit du premier venu. Un animal. Un loup.
Une meute. Auras brunes et glacées. Faim, bestialité.
J'arrive enfin à la grotte. Je le savais, il a choisi une grotte. Une grotte à loups. Quel idiot.
Il est là, à portée de regard, masse dorée dans l'amas brun, aura humaine parmi les bêtes.Masse dorée et grise, désespérément grise, douleur. Mon frère souffre, je souffre. Empathie.
J'ai le contrôle du loup.
Le loup souffre. Empathie.Le loup est la meute. La meute souffre.
Empathie.
Alors je saisi l'arme glissée à ma ceinture, et sans ciller tue la bête devant moi.
Cris, Naël.
Cris, moi.
Cris, loups.Je tue, j'étripe.
J'aime. Je ne devrais pas. J'aime tuer.
Naël est là tout proche, à portée d'arme. Sa belle aura d'or s'éteint. Douleur, vie au loin.
Tuer les loups, sauver ma famille.
Je tue les loups. Je sauve ma famille.
J'absorbe la douleur de mon frère, je la jette sur les loups.
Mort.
Vie.
J'ai mal.
Noir.
——————————————————
Je me réveille.
Naël est là, tâche bleu marine.
Il a peur, de qui ? De moi ? Des loups ?Il a toutes les raisons d'avoir peur.
Je ne me contrôlais pas, il y a... quelques heures ? Minutes ?Mémoire défaillante. Handicap.
Je me lève, hébété, et regarde autour de moi. Autour de nous.
Hécatombe, massacre, génocide. Ma responsabilité. Mon action.
Je frissonne.Je suis capable de cette violence. Partout des cadavres décharnés, rouges de sang, pelage tâché, plus d'aura. Nulle part.
Mort.Cette odeur me prend à la gorge, me remonte dans le nez. Odeur écoeurante, je m'appuie à un arbre. J'ai tué. Je ne sais même plus combien de fois.
J'ai tué, et pas seulement dans cette vie. Fiodor a tué. Mes autres moi ont tué. Je devais aussi tuer.
Tueur. 18 ans. Théodore Liméo.
Moi.
« Silence ? Ça va ? Tu veux... oublier ? »
C'est dit si gentiment, mais je ne peux pas accepter. Alors je me tourne vers mon grand frère et je pleure. Honte.
Il me regarde, brillant d'orange bienveillance et de vert pitié. J'accepte sa pitié. Il s'approche. J'accepte sa présence.
Il me prend dans ses bras. J'accepte son contact. Mon frère.« On doit y aller maintenant »
Ma voix, sa voix est rauque. Je pleure encore. Si mon aura était visible, elle serait rose pâle, bleu outremer, et vermillon.
Culpabilité, tristesse, honte.Je suis un tueur, j'ai fait du mal à tant de gens, tant d'animaux...
Mon frère me serre encore plus fort. Il essaie de m'aider, je le sais, mais son pouvoir est sans effet sur ma mémoire, lorsqu'il s'agit d'oublier.
Surtout si je n'en ai pas envie.Je lui prend doucement sa voix, presque timidement.
« On devrait y aller, maintenant. Je devrait chercher une nouvelle porte. »
Naël n'est pas inutile. Heureusement qu'il est là d'ailleurs. Je ne sais pas comment je ferais sans lui.
Il pose ma main sur mes yeux, je le laisse faire. Je suis en état de choc.Il me guide au milieu du charnier, et m'emmène loin de l'odeur morbide.
Je respire enfin.
Alors seulement je remarque notre proximité. Contact. Frissons.
Je me débat presque pour qu'il me lâche. Je lance mon bras droit qui vient percuter son arcade sourcilière. Odeur de sang. Encore. Je m'assois pour éviter de trop penser, et pars à la recherche d'une porte dans les environs.
Il y en a une, à quelques kilomètres.
Elle est froide. Une aura presque... vide.
Si le royaume des morts existe, sa porte doit être aussi vide que celle-ci. Enfin j'imagine.J'indique à Nathanaël l'emplacement de la porte d'un coup de menton.
Nous nous mettons en route en silence. La forêt nous entoure de ses bruissements. Il fait presque nuit.« Combien de temps suis-je parti ?
-Une journée tout au plus. J'ai seulement eu le temps de trouver un abri. Qu'as-tu fait là-bas ?
-Je... j'ai... encore...
-tué ? »Silence.
Mon frère me connaît mieux que moi. Il sait tout de mes passages, et il est capable de déterminer des schémas, là où je ne vois que des coïncidences.
« Quasiment à chaque fois, tu finis par tuer quelqu'un. Si tu n'es pas tué avant. Et puis il n'y a pas que ça.
J'ai beaucoup réfléchi, et je pense que tes vies sont toutes plus ou moins liées.
Tu tues quelqu'un, tu meurs avant 30 ans, tu manque de te noyer à 6 ans, tu tombe jamais amoureux, tu as toujours ce fichu caractère et surtout, tu es un leader. Que ce soit de ta famille ou d'une organisation secrète.
Je pense qu'on pourrait déduire ta vie d'ici d'après celles-là.
J'appelle ça le destin. »Le destin, cette pourriture.
C'est à cause de lui que je suis dans cet état donc ? À cause de lui que je suis un tueur ? À cause du destin ?
Moi le destin, je l'emmerde.
Je fais ce que JE veux. Et pas ce qu'un petit destin de mes deux me dira d'accomplir.
Et là maintenant, une petite voix dans ma tête me chuchote :
« Le destin ne veux pas que tu passes cette porte. Montre lui qui est le patron, qui est aux commandes.
Rentre. »Alors j'ouvre la porte, et je rentre.
VOUS LISEZ
Uchronia
FantasyJe me suis un jour réveillé sans souvenirs. Sans passé. Mais maintenant je sais qui je suis. Je m'appelle Théodore. Dans mon monde, les gens peuvent passer par des portes. Ces portes mènent à d'autres mondes, d'autres dimensions, d'autres temps... ...