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Wow....
Qu'est-ce que c'était que ça ?

Je suis allongé au sol, la porte vient de se fermer derrière moi.
Naël me tend une main, pour m'aider à me relever, mais je l'ignore et me mets debout seul.
Je cherche du regard une indication temporelle, mais il me devance.

« Dix secondes ? Peut être un peu moins ? Un record je dirais.
– J'étais un photon.
– Un quoi ?
– Un photon. Je sais plus ce que c'est, mais je l'étais. Voilà. »

Drôle de discours en vérité, alternance de tons entre une même voix. On dirait que nous sommes quelqu'un avec une double personnalité, qui se parlerait à lui même.

Un photon. Quel idiotie. Je me souviens maintenant, je l'ai appris sur ce monde figé, sans magie. Je crois que j'y était encore une fois avec cette porte vide, mais au début de leur monde. Il y a très longtemps.

« Bon, on se tire ? J'aimerais bien passer une dernière fois avant de quitter l'île. »

Naël me regarde avec cet air ahuri qui lui colle au visage.

« On... on quitte l'île ? Pour aller où ?
– On quitte Vasiléo et on va sur l'île Mésode. Il paraît que sa capitale, Niçi, est pleine de portes cachées.
– Et comment tu sais ça toi ? »
Je le regarde, et soupire en répondant :
« Naël, c'était tes cours de 3ème année sur la géographie des Kosmes... »

Je lève les yeux au ciel. C'est pas possible d'être aussi étourdi ! Alors avec un pouvoir de mémoire !

Je lui désigne un chemin à peine visible  dans l'enchevêtrement des arbres, et nous partons d'un pas rapide.
Soudain je remarque une légère lueur s'élèvant d'un buisson devant nous et je m'arrête brusquement. Naël manque de trébucher sur moi, mais se rattrape à temps sur une branche. Il aura quand même réussi à me bousculer assez fort pour que je perde la lueur des yeux.

Heureusement, elle s'intensifie, et je peux maintenant voir d'où elle émane exactement.

Je m'approche doucement, ne sachant pas trop à quoi m'attendre, puisque tout objet a ses nuances d'aura propre.
Un nuage verdâtre flotte au dessus du buisson, couleur peu rassurante, qui rappelle la nausée ou la pourriture.

J'écarte lentement les feuilles, et découvre un petit cahier relié, à la couverture bleu horizon et aux coins abîmés. Un nom est écrit dessus. Uchronia.

Je ramasse précautionneusement le carnet, on est jamais trop prudent dans les Kosmes.

Je l'apporte à Naël, pour qu'il teste d'abord son pouvoir dessus. Si quelqu'un a essayé de l'enchanter, il se prendra tout dessus. Pas moi.
Et puis il pourrait peut-être visualiser son précédent propriétaire. On ne sait jamais.

Naël ne prend aucune précaution avant d'ouvrir le carnet.
Les pages sont légèrement jaunies par le temps, et une écriture fine recouvre les pages du cahier. Tracés à l'aide d'un stylo plume, à l'encre bleue, chaque mot, chaque phrase a une teinte particulière. Je n'avais jamais vu ça. Celui qui a écrit ces mots devait ressentir des émotions particulièrement fortes.

Naël ferme les yeux, et commence à se concentrer. Son aura vire au doré, et reste quelque seconde de la couleur du soleil, avant de tourner au gris et au bleu marine, teinté d'aubergine.

Le gris s'intensifie, je ne sait pas si je dois agir, la douleur commence à le submerger, et je ne sais toujours pas comment réagir, alors je me précipite vers mon frère et entreprends de lui arracher le carnet des mains. Il résiste, ses mains sont crispées sur la couverture bleutée.
Je remarque alors que l'aura du carnet à viré au noir, marbré de marron et de bordeaux.
Alors je fais la seule chose qui me vient à l'esprit sur le moment, j'approche mes mains des tempes de Nathanaël et commence à lui voler, non sa douleur ou son pouvoir, mais sa conscience. Il s'accroche, il s'acharne pour rester éveillé, il me brutalise de l'esprit, je brûle de l'intérieur, avant que finalement sa conscience ne s'éteigne.
Il tombe dans mes bras, et nous nous effondrons au sol, le cahier à nos pieds.

Il est là, sur moi, il me touche beaucoup trop... Frissons. Je hurle.
Et cette douleur à l'intérieur de moi, ce feu qui me dévore, m'empêche de faire taire le rugissement qui sort de ma gorge. Je me débarrasse de sa voix, et lui redonne sa conscience au plus vite. La douleur est foudroyante, mais s'estompe aussitôt. Naël se réveille.

Il me regarde et dans son aura se reflètent sa peur et sa gratitude face à mon geste.
je le foudroie du regard, et lui reprend violemment sa voix. Un glapissement de sa part, je sais faire mal quand je veux.

"tu vas pas bien ou quoi ?
T'as envie de mourir précocement aussi, sinon je vois même pas pourquoi t'as pas fais fait attention ! Sérieusement, parfois j'ai l'impression que c'est moi le plus grand de nous deux !"

Il baisse les yeux. Aura vermillon, il a honte. On dirait un petit de deux ans qui vient de se faire gronder par sa mère. Je lève les yeux au ciel.

Le carnet est toujours là, par terre. Il a retrouvé son aura verte. Je le ramasse du bout des doigts, et le pose sur une souche.

La fine écriture a l'air récente.
Naël s'approche et commence à lire par dessus mon épaule.

« Le sort de ces mondes ne dépend que de ceux qui les visitent. Je désire aujourd'hui transmettre dans ce carnet mon expérience, mes voyages et mes portes. Mes créations, j'en suis fier. Moi, le créateur de porte. »

Suit une liste de nom, associés à des dates et des lieux. Certains me sont connus, d'autre non. Je reconnais des rues de Guefyra, et d'autre de Niçi. Plus étonnant encore, je sais à quelles portes correspondent ces adresses.
Ici, la porte « Camille », entourée d'un halo bleu électrique, correspond à la porte que j'ai nommé « Camélia ».

D'autres correspondances de noms, d'autres portes qui me sont inconnues, certaines, au halo fier et possessif, semblent être des créations du propriétaire du carnet.

Créer des portes... je n'ai jamais rien vu de pareil.

Je commence à chercher des yeux une porte, puisqu'une seule m'intéresse. Lythos.

J'en repère trois, « Lycos », « Pierre » et « Rock ».
Ce qui attire surtout mon œil, c'est l'absence de location, ou plutôt la surcharge d'informations. Ces portes ont l'air mobiles.

Parfait.

Maintenant je n'ai plus qu'à les trouver.
Je sais par où commencer.

UchroniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant