Doutes

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Lorsque j'arrive enfin à la porte de la maison, les deux autres m'attendent déjà.

"Bon la patate, tu te dépêche ou bien ?"
Lance Martin.

Apparemment, Naël a déjà relayé notre conversation. Je m'en doutais un peu, il a toujours eu une nuance de châtaigne autour de la tête. Il est plutôt bavard quand il s'y met. Je laisse couler pour cette fois, on vient tout juste de se disputer. Pas la peine de recommencer.

Martin nous précède de peu, il veut, de ses propres mots, nous « initier à la beauté villageoise et à la festivité estivale ». Un poète, ce Martin.

Je reste donc à marcher à côté de mon frère, mais observe attentivement le paysage. Les maisons sont très semblables les unes aux autres, petites, les toit en demi-croupe surmontant des murs de pierres blanches.

Nous croisons un grand nombre d'habitants. Tous nous saluent avec un grand sourire honnête. Tant de joie et de bonheur. Ça me met mal à l'aise.
Les auras ici sont éclatantes, preuve que leur propriétaire se porte comme un charme. Celle de Naël me paraît fade à côté, presque... transparente.

Je me rapproche de lui, et lui fait part de mon mal-être. Il me regarde avec un air de pitié. Pas besoin de lire dans les pensée pour s'en rendre compte : lui est heureux ici. Je continue de m'inquiéter pour nos parents, pour notre frère, et lui est heureux.

Après tout, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas lâcher un peu prise ?

Non, ce n'est pas possible. Si je lâchais l'affaire, jamais nous n'y arriverions. J'en suis persuadé. Naël ne peut pas mener notre quête à bien sans moi. Il est trop fragile, trop naïf, et surtout, il n'est qu'un Un. Il ne peut plus chercher par lui même.

Je n'ai pas le droit de lâcher.

Alors, pour ne pas dévier de mon but, je ne dois pas être distrait. Naël peut bien aller s'amuser, mais je ne peux pas me le permettre.

Je ne regarde plus les habitants dans les yeux. Je me concentre sur les auras d'une ville dans le lointain. Des habitants moins heureux. Un village plus calme.

Je laisse mon esprit vagabonder au creux de ce village, et laisse à Naël la tâche de guider mon corps dans les larges rues pavées. De la musique résonne dans mes oreilles, alors que je suis plongé dans les souvenirs douloureux d'une vieille femme. J'ai besoin de ces émotions négatives pour ne pas absorber celles des villageois si heureux.

Ces moments pendant lesquels mon esprit et mon corps ne sont plus uns sont mes préférés. Enfin libre.

Libre de la gravité, des lois physiques.

Libre de faire le mal, des lois morales.

Libre enfin de réfléchir.

Je réfléchis beaucoup. Puisque je ne parle que peu, chacun de mes mot est réfléchi.
Sauf lorsque je suis en colère. Alors tous mes soucis me recouvrent et s'engouffrent dans le flot de mes paroles.

Aujourd'hui je repense à mes parents. Que font ils ? Sont-ils bien traités ? Pourquoi eux ont-ils été choisis, et pas des gens aux pouvoirs utiles ? Pourquoi notre roi s'acharne-t-il sur les Uns ?

Comment ferais-je pour les libérer? Hadrien pourrait toujours utiliser son pouvoir pour convaincre le roi de les libérer, mais alors ils vivraient en fugitifs. Ils seraient traqués par ces chiens de l'armée jusqu'à leur mort.

Je ne veux pas qu'ils soient ainsi traités. Mais alors comment ? En simulant leur mort ? Trop hasardeux, le roi doit bien avoir un voyant à son service.

En les tuant réellement alors ?

Sans blague, ça risque d'être la meilleure idée que je puisse trouver. Au moins ne seraient-ils plus soumis à un injuste maître.

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