Lycos

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La première porte que nous chercherons est Lycos.

Naël pointe les locations du doigt, et avant que je ne puisse lui exposer mon idée, me demande ce que ces mots signifient.

"Limani, Akrotiro, Maguéya, puis Limani encore... Qu'est ce que ça veut dire ?
-Ce sont des lieux, imbécile ! Tu sais quoi ? Tu ferais mieux de te taire parfois. Je me demande si ça ne vaudrait pas mieux pour moi que je garde ta voix. D'ailleurs, je trouve qu'elle me va bien.
Bref, ces lieux sont situés dans chacun des kosmes. Limani est dans ce kosme, Akrotiro est dans le secondaire et Maguéya dans le tertiaire. Je pense que cette porte a une sorte de schéma.
Reste à savoir à quel moment du cycle nous en sommes."

Les dates indiquées sur la marge ne sont pas récentes. Certaines sont en Gorssien, d'autres en Passant. Le système Gorssien a commencé avec l'arrivée au trône du roi Adolphe III, premier des Gors à accéder à la couronne, en l'an 1409 du système Passant, qui se base sur le supposé premier passage effectué par des Kosmiens.

Nous sommes en 647 G, ou 2056 P. La date la plus récente, en tout cas celle qui a l'aura la plus forte, date de 622 (système Gorssien, je suppose). La précédente date de 621, et celle d'avant de 620. Simple, un schéma annuel. Cette année, nous devrions en être à l'apparition à Maguéya, Kosme secondaire. Nous sommes en avril, la porte s'ouvre en mai. Moins d'un mois pour y arriver. Ça ira. Il faut que ça aille.

Je me retourne et regarde Naël, il n'a apparemment rien compris.
Je lui explique le trajet que je prévoit, et son sourcil se lève. Tic. Même pas besoin de voir son aura. Il y a un point encore obscur pour lui.

"Et... Comment je suis sensé aller dans le Kosme secondaire, moi ? En supposant que tu m'emmènes avec toi ?
-Encore une fois, on sent que tu as suivi en cours... Il y a des points passages dans les kosmes, et même toi ou n'importe quel imbécile de figé peut le prendre. En revanche, on va devoir marcher. Et se bouger un peu si on veut arriver à temps pour l'ouverture de Lycos."

Je déteste faire des longues phrases.

Maintenant, nous devons nous diriger vers la grande ville la plus proche, et je n'ai aucune idée de l'endroit où nous pouvons être. Je ferme les yeux et laisse mon pouvoir m'envahir. Une capacité que j'utilise rarement, la localisation par résonance. Je déteste ressentir les émotions de tant de personnes.

Sur l'écran noir formé par mes paupières, les auras commencent à apparaître. Puis les couleurs se brouillent, la vue ne m'est plus nécessaire. Je sens ces personnes. Il y en a beaucoup, partout autour de moi. Je pourrais rentrer dans leurs pensée, ou encore leur en insuffler, mais je n'ai pas le temps, ni la volonté. Je tourne sur moi même, cherchant la plus proche foule.

Des murmures me parviennent de la droite, un liseur de pensée. Je bloque quelques temps mon esprit, puis me concentre à nouveau sur mes impressions.

Ça y est, j'ai trouvé. À 45 covans, la cité de... Ar ?... Les gens ne pensent vraiment pas assez à des choses utiles... je n'en ai strictement rien à faire de ton divorce... Allez... Bon sang, où es tu ? Pense... PENSE ! Je crois que je vais finir par en tuer un. Quoique non, ça y est, un petit garçon parle à sa mère... C'est ça, demande lui comment s'appelle la ville... Oui ! Enfin ! Arlyne. La ville s'appelle Arlyne.

Deux journée de marche, si nous nous dépêchons. Il faut que nous soyons là-bas dans les trois jours, puisqu'on ne sait pas où le point passage nous déposera. Encore quelque chose de pratique.

Je rouvre les yeux. Naël s'est assis sur un bout de bois, et me regarde fixement. Je détourne le regard.

"On va par là. Deux jours, pas plus. Rythme soutenu. Compris ?"

Il hoche la tête, et m'emboîte le pas. Heureusement, nos sacs sont légers. Peut-être un peu trop d'ailleurs. Il faudra nous arrêter pour se ravitailler. Mauvais pour le rythme. Tant pis.

J'aime marcher. La tête se vide au fur et à mesure, il faut seulement rester concentré sur le but. L'objectif.



Déjà quatre heure que nous marchons. Le soleil commence à disparaître à l'horizon. Il est dix heure. Nous ne devrions pas continuer de nuit, des animaux rôdent. Nous ne sommes même pas sur un chemin existant, et n'avons pas de carte. Mon seul repère est ce groupement d'aura humaine au loin ; il commence à pâlir, au fil des endormissements de chacun des habitants. L'arrêt est inévitable.

J'avise un bosquet d'arbre au loin, et me dirige vers celui-ci.
À vrai dire, je suis épuisé. Mes forces diminuent rapidement à cause de la concentration requise pour nous diriger. Je ferme violemment mon esprit, l'obscurité se fait ténèbres. Il faut dire que les auras éclairent beaucoup. Derrière moi, Naël ne trébuche pas non plus. Il utilise son propre pouvoir pour visualiser le terrain grâce aux effluves de souvenir laissés par les animaux de passage. C'est plutôt pratique, on peut tous les deux se diriger sans attirer l'attention.

Je sens mes jambes se dérober sous moi. Naël me rattrape au dernier instant.

Contact.

Frisson.

Vide.


Je me sens vide. J'ouvre les yeux ; Naël est au dessus de moi, son aura améthyste aux reflets bleu turquin me disent à quel point il se moque de moi, mais aussi à quel point il s'inquiétait.
Je lance mon point vers lui, mais il l'esquive facilement. Mon bras retombe contre mon torse. Je suis exténué.

"Eh, je te l'avais bien dit, tu peux pas tenir comme ça. Il faut que tu te repose, que tu me laisse prendre la tête de temps en temps... J'ai encore besoin de toi !"

Et pas qu'un peu... Je me concentre une dernière fois pour lui prendre sa voix, mais il prend soin de résister. Quel connard...

Vide


Je rouvre les yeux. Il fait jour. Des fruits sont posés à côté de moi. Je relance mon énergie, et constate avec soulagement que j'ai assez récupéré pour utiliser mon pouvoir. Je me sens incomplet sans. Les fruits sont entourés d'un halo écru, sauf une sorte de baie noirâtre. Je m'empresse de manger ce que je peux, et jette au loin les baies. Toxique, vu l'aura gris nuageux.

Naël est dans les parages. J'ai maintenant recouvré toutes mes capacités, et je lui lance un appel mental, en lui indiquant l'itinéraire pour revenir vers moi.

Il ne tarde pas à surgir d'un buisson, un lapin sans aura à la main. La sienne en revanche est vert pomme, acidulé, il est visiblement très excité par sa capture.

"On doit y aller maintenant. Range ce lapin et prend tes affaires. On a déjà perdu assez de temps comme ça."

Son sourire se fige, et il retourne à ses affaires en traînant des pieds. Il perd un temps qui nous manque déjà... Je lui crie de se bouger, et commence à me concentrer sur les auras des habitants d'Arline. Nous nous mettons en route d'un pas leste.

J'espère arriver avant ce soir...

UchroniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant