Porte

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Naël me rattrape, et tente de me faire entendre raison.
« Écoute, on peut pas juste partir comme ça, il faut prévoir la direction, préparer nos sacs, de quoi camper et manger pour quelques jours ! Et puis il faut ... »
Il continue d'articuler dans le vide, avant de comprendre que sa voix est dans ma gorge.
« Nous partirons demain vers le sud, et nous enfoncerons dans la forêt. Tu prépares les sacs, je m'occupe de la nourriture. Comme d'habitude. Je me souviens. »

Mon ton sec le surprend légèrement, mais son aura tourné au jaune miel. Il a compris. J'ai juste besoin de faire quelque chose, je n'en peux plus de rester inactif.

Nous partons demain...

En attendant, je rumine.
Je ne comprends toujours pas pourquoi je me suis réveillé sans aucun souvenirs, ça n'était jamais arrivé avant. Et à vrai dire, ça me fait peur.
J'ai peur que ça recommence, peur que ça indique la fin de mon aerio.

Nous partons à l'aube.

Le but est de trouver une autre porte, avec une aura dérangeante ou agitée.
C'est mon rôle de les trouver, Naël en serait incapable. En réalité, il ne sert pas à grand chose.
Enfin, c'est mon grand frère quand même... je suppose que je devrais un peu mieux le considérer, mais il a le don de m'exaspérer et de me vexer mieux que quiconque.

Nous marchons donc en direction de la côte, pendant quelques jours. Le paysage est splendide. Il aurait plu à maman. Elle aimait tant voir des champs à perte de vue, et s'émerveillait sans cesse sur les immensités de notre Kosme.

Repenser à elle me fait du mal. Je devrais l'oublier. Cela vaudrait mieux pour tout le monde.

Naël m'arrache brusquement de mes pensées. Il me tire vers un buisson, et me fait signe de me taire.
C'est pas comme si j'étais muet...

Je ne relève pas.
Je ne relève plus en tout cas ; fut un temps, je l'aurait projeté au sol pour avoir osé me rappeler ma condition. Mon handicap.

Mais aujourd'hui il a raison de me demander le silence le plus absolu. Des gardes du roi. Des chiens de la monarchie, comme on les appelle.
Ils sont sélectionnés pour leurs pouvoirs, soit d'attaque soit de traque.

Je me glisse avec délice dans leur tête, et bois avidement leurs pensées.

« J'espère qu'on mangera bien ce soir »
« ... et cette fille... un délice... »
« ... pare un sac, et que je lui donne les instructions. Pourvu que tout se passe bien. Il est encore si jeu... »

Bref.
Trois gardes, un affamé, un obsédé et un père inquiet.

Je jette un coup d'œil par dessus le buisson. Ils ne nous voient pas.
Ce qu'ils ne verront pas non plus, c'est ma lame, lorsque je sortirais de mon couvert pour leur trancher nettement et en silence la gorge. Pas que je sois sadique, mais nous nous devons d'éliminer tous ces chiens. Ils sont l'incarnation même de ce contre quoi nous nous battons.

Je m'apprête à me lever, lorsque Naël intercepte mon bras.

Contact physique.

Frissons.

Rage.

Je lance ma lame à toute vitesse vers les gardes lorsque soudain elle se fiche dans une porte. Qui vient d'apparaître.
Les gardes ne m'intéressent plus. Ils ne sont plus importants, maintenant que j'ai une porte.

Naël me rejoint hors du bosquet, devant la porte. Il ne la voit même pas. Pathétique.

« Alors ? Cette aura ?
- Belle.
- Tu veux pas un peu arrêter avec ta réplique à la con ? Tu vas me sortir ce mot à chaque fois que je te pose la question c'est ça ?
- Oui. »

Il hausse les yeux, exaspéré, et je me rends compte qu'il n'ont pas leur couleur habituelle. Ils sont plus... uni. L'œil bleu tourne au vert, l'œil ambre au marron.

« Qu'est ce qui est arrivé à tes yeux ?
- Oh, rien, rien.
- Nathanaël, qu'est-il arrivé à tes yeux ?!
- Ça va j'te dit, c'est rien.
Je hurle presque, les gardes doivent m'entendre maintenant.
-Naël, qu'est ce que tu as fait ?! »

Il me regarde, penaud. Son aura viré du jaune mensonge au rose pâle que j'avais déjà pu observer.

« J'ai... j'ai tenté de passer, ça s'est mal passé. Voilà. »

Je sens que ce n'est pas toute la vérité, le jaune de son aura ne peut me tromper la dessus. En revanche le bleu marine en sourdine me fait lâcher l'affaire. Aura aigue-marine, honte. Il est honteux d'être un Un. Je le serais aussi.

Je braque mon regard vairon dans le sien, l'attrape par la nuque et lui amène le front sur le mien.

Contact.

Frisson.

Détermination.

J'ouvre la porte, d'un coup d'épaule.
Lui cherche des marques de la porte, il aimerait bien me suivre. Seulement il n'a pas intérêt. Son regard trop uni en est la preuve, les figés sont coincés de ce côté-ci de la porte.

L'aura d'un objet est différente de celle d'un humain. Elle est composée d'énergies plus marquées, presque manichéennes.
Tandis que deux nuances peuvent marquer des sentiments des plus contradictoires chez un homme, un objet et encore plus une porte ne laisse échapper que sa façon d'exister. Son essence.

Cette porte est belle. Noire, vernie.
Aura de haine et de vengeance. De pouvoir. Ça va me plaire.

Je rentre, un sourire au lèvre. Un sourire calculateur.

Je crie à Naël :
« Bonne chance sans ta voix ! »

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