21. Nous sommes arrivés
Les deux officiers furent installés sur une banquette froide et trop petite pour eux. Le vaisseau se mouvait rapidement. Les changements de direction étaient francs mais les deux hommes n'étaient pas balancés. Ils restaient même étonnamment stables. A partir d'une certaine profondeur, les parois du vaisseau changèrent progressivement d'aspect. Elles devenaient plus claires, des formes apparurent. Le commandant et Tom écarquillèrent les yeux. Ils apercevaient l'extérieur. Ce qu'il avait pris pour un métal sombre et terne, s'était transformé en un matériau translucide, laissant apparaître partout le milieu extérieur sur trois cent soixante degrés. Autant les paysages terrestres observés jusqu'à présent étaient peu peuplés, les animaux rares, les habitations outambas presque invisibles et des étendues d'herbes à perte de vue. Autant ce qui s'offrait à leurs yeux était d'une densité étourdissante. Des animaux marins partout. Des minuscules, des petits, des grands, des gris, des rouges, des marbrés de noir et de bleu, des mines sympathiques, des gueules terrifiantes, des allures languissantes, des vitesses prodigieuses, des bancs de poissons scintillants, des solitaires endormis ou à l'affût, bref une vie foisonnante hors du commun.
Le vaisseau du diplomate Lhonis ne descendait plus et longeait un long plateau. Il croisait d'autres navires hydramnisiens. Certains identiques, d'autres plus imposants et d'autres encore si petit qu'ils devaient être des biplaces.
Toute cette activité se mélangeait avec fluidité, sans heurt, sans règle apparente, rapidement et naturellement.
- Et nous n'avons rien vu ... dit le commandant avec un brin de lassitude. Aucun de nos systèmes de détection n'a jamais rien décelé.
- Oui ... nous avons encore à apprendre, répondit Tom au bout de quelques instants sans quitter des yeux ce spectacle fabuleux. Regardez ! Là, sur cet aplomb rocheux, ces étendues d'algues rouges.
- Ce sont des champs de palmarta. C'est une symbiose entre une algue rouge et un plancton animal endémique. Contrairement aux cycles de récoltes terrestres liés aux saisons, la palmarta est disponible toute l'année. Elle est la base de notre alimentation, dit Lhonis qui avait vu le doigt pointé de Tom. Nous nous nourrissons strictement de protéines issues de la mer. Nous sommes thalassavores.
Plus loin, des étranges cônes avec hélice sont posés au sol. D'autres semblent flotter entre deux eaux. Enhardi par les explications de Lhonis, Tom se risque à une question.
- Et là, à quoi vous servent ces dispositifs ? demande Tom curieux.
- Oh là ? Ce sont des vieilles turbines. Nous récupérons l'énergie des courants, des marées et de la houle, répond Lhonis surpris.
Le trafic se densifia encore. Une ville apparut. Les volets latéraux du vaisseau se déplièrent et la vitesse diminua. Contrairement à celles des outambas, les habitations hydramnisiennes étaient identiques, ressemblant à des igloos parfois empilés en terrasse. On apercevait à l'intérieur les hydramnisiens. D'autres nageaient littéralement d'un bâtiment à l'autre.
- Regarde Tom. Ils n'ont ni scaphandre ni équipement particulier !
- Oui. Et leur vitesse de déplacement est époustouflante. Rien à voir avec leur démarche pataude sur la plage.
- Nous avons besoin d'air pour respirer, dit Lhonis qui devançait leurs questions. Mais nous pouvons rester en apnée profonde plusieurs minutes. Nous utilisons quatre-vingt-cinq pour cent de notre volume respiratoire alors que vous n'en utilisez que quinze. Notre capacité en apnée surpasse largement les vôtres. Ce qui fait dire à Mhefis que votre espèce primitive ne mérite pas notre attention.
- Qui est ce Mhefis ? demande le commandant en se redressant.
- Celui que vous allez voir. Nous sommes arrivés.
22. Il se rassit et se tut
Devançant le rendez-vous, l'Exy-Pure se posa à proximité du village outamba. Loé et Quentin vinrent à leur rencontre.
- Des problèmes ?
- Pas encore, dit lentement Elisabeth. Le commandant et Tom sont partis sous l'eau ... je veux dire, ils sont allés à la rencontre d'Hydramnis. En tant qu'officier en second, le commandement te revient, Quent.
- Mais comment çà ils sont allés à leur rencontre ?
- Un certain Lhonis a proposé au commandant de rencontrer leurs autorités. Il a accepté l'invitation. Un peu vite à mon goût, continue Elisabeth. Il te transfère le commandement le temps de son absence.
- Et ce n'est pas tout ! coupe Mathilde. Tom est parti aussi alors qu'il n'était pas en état.
- Comment pas en état ? interroge Loé en s'approchant.
- Mathilde nous a raconté une histoire que l'on a peine à croire.
Des échanges intenses et courts s'engagent. Sauf Loé, qui écoute en restant silencieuse, le front renfrogné.
- Allons dans le numentom de Patchic, nous discuterons de tout çà, dit Quentin.
- Tu leur fais confiance ? se renseigne Latika.
- J'ai le sentiment que nous pouvons leur confier certaines choses. Ils ont soigné un des nôtres sans préjugé et nous ont ouvert leurs maisons. Et puis, la confiance, ça se construit. A nous d'y participer.
Patchic écoutait impassible. Quand Quentin parla de lianes autour d'un tronc, il jeta un regard au vieil outamba qui avait soigné Tom. Mais les deux outambas restèrent silencieux. Seules quelques plumes autour de ses yeux se levèrent imperceptiblement. Observatrice, Loé nota cette marque d'émotion, rare chez les outambas. Marik entra à ce moment-là. Il avait accompagné Ama et quelques jeunes partis en forêt.
Quentin en profite pour se pencher vers Elisabeth.
- Tu as remarqué ? Les hydramnisiens nomment les outambas mais pas Elle. Et les outambas nomment la Substance mais pas Eux.
- Oui en effet, c'est étrange. En tout cas, ça en dit long sur le caractère exceptionnel qu'il confère à ce qu'ils n'osent pas nommer.
Après les embrassades qui semblent surprendre les outambas, Loé impatiente, résume la situation à Marik.
- Nous devons nous concentrer sur la Substance, lui dit-elle d'un ton grave.
- Non. Vous ne devez pas.
Le vieil Outamba venait de prendre la parole. Il s'approcha de Loé qui s'était levée et lui posa la main sur l'épaule. Sa stature contrastait avec la silhouette menue de Loé. Sa grande main se resserra.
- La Substance ne concerne qu'Eux et nous. Elle soigne et immunise. Mais elle leur permet aussi de ralentir leur métabolisme, d'être moins dépendant de l'oxygène, améliore leur capacité en apnée ainsi que lors de leurs transports spatiaux au sein d'Ocyan. Ils lui apportent une très grande importance marchande et ne permettent à personne de s'y intéresser.
- Mais vous-même ...
- Nous sommes juste les Récolteurs. Tant que nous les fournissons, Ils nous laissent en paix.
- Mais qu'est-ce que c'est au juste, une sève, un suc, un sang végétal ?
- La Substance est essentiellement végétale.
- Essentiellement ?
Le vieil outamba se rassit et se tut.
Fin du 22° chapitre.

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SUBSTANCE
Science FictionArrivant sur une planète inconnue, des migrants se trouvent pris au piège d'un conflit mortel. - Après un long voyage, l'équipage de l'Exy-Pure arrive en vue d'Elpis. Pourvue d'une atmosphère et d'eau liquide, cette planète pourrait être viable po...