L'Alchimiste des Douleurs

2.

Lorsqu'elle naquit de parents simples et aimants, Aurore ressemblait à n'importe quelle petite fille d'Arcania. Nélia et Camden savaient qu'elle serait Alchimiste parce qu'ils l'étaient tous deux. Ils ignoraient cependant tout à fait quelles seraient ses capacités. Si la nature d'Alchimiste passait dans les gènes, le don restait quant à lui aléatoire. Arcania aimait les surprises et la diversité. Il était donc plutôt rare – mais pas impossible – que les descendants héritent de la même Alchimie que leurs prédécesseurs directs.

Sachant qu'un enfant ne manifestait ses dons qu'à l'âge où il apprenait à lire, à compter, et surtout, à raisonner, les deux parents auraient encore largement le temps de spéculer.

Cela dit, le don d'Aurore étant unique et passablement urgent, voire essentiel aux yeux de l'esprit de la terre, il se manifesta plus tôt... de façon, elle aussi, très diverse, voire sporadique. Chaque occasion laissa Nélia et Camden toujours plus dans l'incertitude et dans une nuée de questions sans aucune réponse.

D'abord, ce furent des larmes que la fillette transforma en diamants alors qu'elle n'avait pas trois ans. Nélia venait de perdre sa mère – son dernier parent encore en vie –, et n'avait pas de quoi payer la sépulture, même s'ils n'étaient pas sans le sou. Nélia n'était qu'une guérisseuse dont l'Alchimie se réduisait à transformer les plaies du derme, tandis que Camden était un herboriste capable de changer les plus simples plantes en végétaux plus recherchés pour des remèdes compliqués. Ils avaient toujours de la clientèle, mais cette fois-ci, il n'y avait pas eu assez.

La petite tête blonde avait alors posé une main sur la joue de sa mère en faisant la moue, et l'Alchimie avait opéré.

Par la suite, alors que son père s'était blessé en coupant du bois, elle avait changé l'une des bûches en une brioche tressée bien sucrée, son dessert préféré... qu'il n'avait pas mangé depuis bien des années, Nélia ne sachant reproduire la recette de son village natal.

Elle offrit une fleur devenue étoile à sa cousine au cœur brisé, transforma des échos de cris de blessés en douces et apaisantes mélopées.

Chaque transformation ressemblait à un prodige débordant de simplicité enfantine. Il fallut néanmoins attendre les six ans réglementaires pour qu'Aurore parvienne à exprimer ce qu'elle faisait en termes plus ou moins clairs.

— Je sens qu'elle a mal, explicita-t-elle en haussant les épaules, après avoir offert une pierre devenue coquillage irisé à une enfant qui venait se faire soigner pour de fortes brûlures auprès de sa mère. Ça vibre au fond de moi.

— Tu as mal aussi ? s'inquiéta Nélia.

— Un peu. Mais ça va. Je n'ai plus mal quand l'Alchimie fonctionne.

— Mais qu'est-ce que tu transformes ? Chaque fois, les objets et les matières changent ! grommela Camden, de plus en plus perdu.

— Je ne sais pas, Papa.

Plus tard, cette nuit-là, Nélia murmura à son mari :

— Elle développe une nouvelle forme d'Alchimie. La Douleur est le déclencheur qui passe par son cœur.

— Par les Premiers. Quelle destinée lui est donc réservée ?

Elle se blottit contre lui. Elle ne voulait pas y songer.