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Au matin du quatrième jour, Aurore termina la dernière portion de nourriture présente dans sa besace. Elle avait réussi à glaner quelques fruits qu'elle avait reconnus en chemin, toutefois, la tâche risquait de se présenter plus compliquée désormais. Doucement, la flore avait changé au fil de leurs pas. Sa mère l'avait souvent prévenue qu'ils se situaient presque à l'extrémité de leur zone, et que plus à l'Est, tant le paysage que les plantes variaient. Si l'Alchimiste avait voulu trouver quelque chose de similaire à ce qu'elle avait toujours connu, elle aurait dû prendre à l'Ouest.

Bien sûr, elle avait noté les subtiles différentes qui s'étaient amoncelées autour d'eux. Une herbe moins grasse, un vert moins tendre, des baies qui n'avaient plus la même couleur... sans oublier les oiseaux qui ne possédaient plus tout à fait les mêmes trilles.

À la faveur du jour, pourtant, elle remarqua d'autant plus qu'ils se rapprochaient de la mer. L'air était plus chaud, un peu plus humide, aussi. Toutefois, ce fut la flore environnante qui la surprit le plus. Au milieu de la journée, ils tombèrent sur un arbre aux feuilles veinées... d'or. Son écorce luisait de reflets scintillants, comme si la graine qui l'avait engendré avait été un subtil mélange de végétal et de métal. À la réflexion, c'était sans doute le cas, et l'œuvre d'un Alchimiste doué.

Quelques pas plus loin, ils contemplèrent avec stupéfaction un buisson arc-en-ciel, dont les fleurs produisaient un pollen sucré et pailleté. Bientôt, Aurore reconnut, dans un autre bosquet aux couleurs bleutées, une sorte de coing violet comme une prune bien mûre.

Elle questionna Setareh du regard, et il opina en lui flanquant un léger coup de museau.

Décidant de lui faire confiance, elle choisit un fruit qui lui parut bien mûr.

Si elle avait su qu'elle mordrait dans une pulpe plus juteuse qu'une pêche trop mûre, et plus acide qu'un citron vert, elle se serait abstenue. Pourtant, passée la désagréable sensation de sentir sa bouche de refermer sur elle-même, la jeune femme s'aperçut que le met étanchait sa soif. Elle haussa un sourcil, et finit ce qu'elle avait commencé, sans se gêner pour grimacer.

Profitant de la peau assez épaisse pour empêcher qu'ils éclatent, l'Alchimiste en sélectionna quatre relativement mûrs pour les stocker dans sa besace. Elle aurait au moins de quoi avancer encore un peu, et elle ne doutait pas de trouver d'autres denrées alimentaires sous peu. Après tout, Set risquait d'avoir faim à son tour, et rapidement.

D'ailleurs...

Ne le trouvant plus au ras du sol, Aurore s'écarta des feuillages, guettant nez en l'air son compagnon à quatre pattes. Le crissement des griffes contre l'écorce, ainsi que le remue-ménage qu'un gros chat comme lui provoquait dans les branches touffues d'un grand arbre, la renseignèrent sur sa position, quelques dizaines de mètres plus avant.

Ça, et l'envol précipité d'une nuée d'oiseaux totalement effrayés, piaillant à s'en étouffer. Difficile de faire plus repérable...

Il avait grimpé dans un végétal qui devait être centenaire, et qui, lui, présentait des veinules de diamant. En-dessous de ses feuilles émergeaient des fruits en tout point semblables aux pommes, même par la couleur. Pour autant, elle sut que seule l'apparence était commune, puisque jamais Set n'avait daigné renifler une pomme depuis qu'elle le connaissait. Pas même pour l'aider. Il avait ces boules en horreur, et elle n'avait jamais compris pourquoi.

Elle saisit cependant avec rapidité – et un étonnement proche du dégoût – ce qui avait pu l'attirer dans sa quête. La saveur se rapprochait de celle du poulet, et si elle n'avait pas deviné la patte d'un Alchimiste dans les caractéristiques extérieures, elle l'aurait fait sans conteste lorsqu'elle croqua innocemment dedans. Elle se força à terminer, avant de se jurer que la prochaine fois, elle prendrait garde à n'en manger qu'après son premier butin.

Set renifla avec mépris face à sa réaction, et s'empiffra en ronronnant.

Deux heures plus tard, ils tombèrent sur une rivière assez large, à l'eau claire. La voyageuse en remplit une gourde, avant que la panthère de soleil ne décide de s'octroyer un bain.

Elle contempla le courant, les arbres devenus roses, violets, jaunes, verts, bleus... et tant d'autres teintes qu'elles n'auraient jamais imaginées dans une forêt. Les saules pleureurs aux reflets dorés et turquoises ne cessaient de l'émerveiller, tout en provoquant en elle une vague de malaise. Elle ne reconnaissait absolument rien, et sans son ami félin, elle pouvait à tout moment s'empoisonner, se laisser hypnotiser... Comme avec la plante aux allures de pivoine d'un rose si doux, si crémeux, et au parfum si attirant... qui avait laissé entrevoir deux rangées de dents une fois qu'elle se fût penchée pour l'observer. Ce dépaysement soudain la perdrait, elle en était certaine. Jamais elle ne rejoindrait la mer en errant dans les bois. Jamais elle ne survivrait en errant dans les bois !

Aussi, Aurore calqua son pas sur la trajectoire de la rivière. Viendrait bien un moment où ils croiseraient un port, un village... quelqu'un. Peut-être même atteindraient-ils Lamannir directement.

Ce fut à cet instant que l'Alchimiste prit conscience que son choix d'aller vers la mer n'avait jamais été une coïncidence. Car à Lamannir se trouvait un puits. Un puits sans fond, d'où émergeaient des souffles pareils à des chuchotis, dont chacun interprétait le sens à sa façon. Personne n'y entendait la même chose.

Tout le monde prétendait toutefois entendre Arcania.

Tant mieux, songea-t-elle. Il est temps que nous discutions, toi et moi.



(crédits photo : https://www.longisland.com/site_media/images/event/photo_gallery/4053145_1_l.jpg)

L'Alchimiste des DouleursWhere stories live. Discover now