L'Alchimiste des Douleurs

4.

(Bonjour à tous ! Oui, je sais, nous sommes mardi et je n'ai pas publié depuis 2 semaines - au bas mot... Mais j'ai eu des excuses ! Des nouvelles importantes, comme la fermeture de ma maison d'édition, Pâques et encore d'autres choses ! Donc je me suis mise sur ce chapitre 4 cet après-midi, et je trouvais justifié de vous le partager immédiatement. Cette nouvelle section est un peu étrange, surtout narrative et descriptive, pourtant il s'y passe des changements importants, je crois. Je n'avais pas trop d'idées en commençant, j'espère donc que cela donnera quelque chose de bien ! N'hésitez pas à me laisser un commentaire en fin de partie pour me donner votre ressenti, ça m'aidera beaucoup et me permettra de m'ajuster pour les prochains chapitres ! Merci d'avance et bonne lecture !)

---

Aurore comprit rapidement pourquoi la mère avait abandonné son petit aux mains d'une humaine, et donc à la mort. Setareh était démuni de griffes, et s'il montrait parfois les crocs, il semblait même rechigner à chasser pour se nourrir.

Il ne quittait jamais sa protectrice, et la jeune femme sentit bientôt que derrière son attachement, se trouvait une raison plus obscure, plus urgente.

En vérité, Set souffrait la majeure partie du temps. Les mois passant, il gagnait force et vigueur, mais la douleur accompagnait chacune de ses évolutions. Seule la présence rassurante d'Aurore le calmait, et lui ôtait toute sensation difficile. Elle s'en rendit compte, car plus elle le soignait, le caressait et tissait son lien avec lui, plus son Alchimie s'activait. Si au départ, le procédé la répugna, elle finit par comprendre que la probabilité pour que deux êtres pareils puissent se rencontrer et se renforcer ainsi était trop mince pour être due au hasard. Elle détestait savoir que la panthère ne survivait que grâce à elle, et n'appréciait pas des masses de sentir son pouvoir vibrer sous sa peau de plus en plus souvent, même si c'était pour le soulager.

Un lien fort se créa entre les deux compagnons. Chacun grandit grâce à l'autre, avec l'autre et dans le cœur de l'autre. Set ne donna jamais l'impression à Aurore de n'être là que pour sa capacité à l'apaiser. Il semblait vouloir la réconforter lorsque la peine de son Alchimie se faisait trop lourde, et il la remuait lorsqu'elle menaçait de sombrer dans une apathie malsaine.

Parce que si elle acceptait sa charge et la mission qui se dessinait chaque jour un peu plus, Aurore ne pouvait s'empêcher de ressentir mélancolie et affaiblissement. D'autres auraient pensé que c'était trop pour elle, pour de si frêles épaules. Elle, pourtant, savait qu'elle devait s'abandonner et que ses propres limites, ses propres brisures et fatigues donneraient du fruit. Le chemin n'en était pas moins abrupt et semé d'embûches. Alors elle trébuchait, parfois, le laissait la réconforter, et se relevait pour continuer d'avancer.

Elle croyait en ce qu'elle faisait. En ce qu'elle deviendrait.

Malheureusement, autour d'elle, le rejet commença à poindre. L'arrivée de Setareh y fut pour beaucoup. Comment aurait-il pu en aller autrement ? Elle était différente, et choisissait d'accentuer sa différence en adoptant un animal sauvage, dangereux et imprévisible. Elle aurait dû le relâcher, ou le tuer, pour éviter du tracas et des angoisses aux villageois. N'était-ce pas ce qu'on demandait à chaque membre d'une communauté : d'œuvrer pour le bien de tous, au mépris de ses propres désirs et aspirations ? Elle avait beau être différente, elle aurait dû se couler dans le moule, faire comme tout le monde.

Les parents empêchèrent Aurore de voir leurs enfants. Les blessés refusèrent de se laisser soigner tant que la panthère, pourtant inoffensive, se trouvait dans les parages. Les Anciens firent pression sur la jeune femme et ses proches, afin d'éliminer la bête.

Mais elle tint bon. Si Setareh avait surgi dans sa vie, c'était qu'un jour, il servirait avec elle. Le hasard n'existait pas...

Ce fut l'occasion pour Aurore de ressentir pour la première fois sa douleur. Elle avait toujours perçu la souffrance chez les autres, la reconnaissait aussi facilement qu'elle respirait, le sentiment la laissa pourtant désarçonnée. Elle avait éprouvé de manière vraie, toutefois atténuée, jusqu'à présent. Son cœur n'avait jamais saigné que pour les autres, au travers des autres. Là, cependant, elle expérimentait l'incompréhension, le rejet, la dissemblance et l'impuissance.

Et le feu s'embrasa en elle. Sa douleur devint un brasier ardent, qui réveilla pour de bon son Alchimie. Ce soir-là, la jeune femme contempla ses mains, comme si elle les voyait pour la première fois. Il avait fallu qu'elle grandisse, qu'elle vive et expérimente pour devenir maîtresse de ses dons. Elle avait dû ouvrir la porte pour saisir la configuration de son propre château.

Elle ne s'en sentait pour autant pas plus ou moins capable, juste plus consciente, plus éveillée. Le chemin sous ses pas devenait plus net, moins flouté. Ses pas seraient désormais plus affirmés. Peut-être plus lourds, néanmoins décidés. Elle allait embrasser tout ceci et le porter.

Cette façon de penser fut pour elle la seule façon de gérer la colère des habitants de Divenn, qui, deux ans après l'adoption de Setareh, capturèrent la bête pour tenter de la supprimer. La peur avait trop grandi. Ils avaient eu beau s'éloigner, Set était devenu pour eux le bouc émissaire, l'œil noir dans leurs vies. L'espace d'une nuit, ils partagèrent un même élan de folie.

Réveillée brusquement à l'appel de sa douleur, Aurore sortit de la maison avec précipitation, et plongea dans l'obscurité, comme au tout début de cette fameuse nuit. Et elle le savait, elle viendrait une nouvelle fois le sauver. Quant à lui, il lui offrirait le tremplin dont elle avait besoin pour s'envoler.