-Pourquoi tu souris comme ça ?
Hein ? Mon voisin de table me fixe en faisant rebondir son stylo noir sur sa cuisse. Je hausse les épaules. Maintenant qu'il le dit, c'est vrai que je souris. Grandement.
-On est vendredi.
-Et... ?
Il en attend plus. Ça va faire quatre mois qu'il me voit impatiente de sortir de cours pour te rejoindre dans ta petite fleuristerie du centre-ville, alors ouais c'est normal qu'il sente quand quelque chose est différent. J'ai envie de lui en parler. Je sais pas pourquoi j'ai envie, mais j'ai envie.
-On s'est embrassées.
Il écarquille les yeux ce qui lui donne un peu l'air d'un poisson. Puis il sourit.
-Je suis content pour toi.
Moi aussi je suis contente pour moi. Tout le monde se lève d'un coup alors on fait pareil, et je marche le plus rapidement possible pour pas rater le tram. J'ai hâte de te voir. Enfin plus que d'habitude. Même si j'ai peur. Comment ça va se passer ? Est-ce qu'on s'embrassera pour se dire bonsoir ? Est-ce qu'on fera comme si rien ne s'était passé ? Est-ce que tu m'avoueras être fiancée ? Mariée ? Est-ce que je suis qu'une expérience lesbienne ? Une erreur ? Ou pire est-ce que je vais arriver en retard ? Et ces putain de voitures qui profitent d'avoir le feu vert pour passer à toute vitesse, pour me narguer alors qu'il est déjà dix-neuf heures dix-huit. Une voiture s'arrête enfin faut que je me dépêche. Je traverse le passage piéton et pousse la porte de ta petite fleuristerie du centre-ville à dix-neuf heures dix-neuf exactement. Je sais pas quoi faire, je sais pas quoi dire. Toi t'es là, derrière ton comptoir, à me sourire de ton doux sourire que tu réserves aux clients. Tu vas faire comme si rien ne s'était passé pas vrai ? Putain. J'ai envie de me barrer de t'abandonner de bordel pourquoi tu marches dans ma direction on coupe pas les gens dans leurs pensées comme ça et pourquoi tu pourquoi tu pourquoi tu m'embrasses.
-Bonsoir.
Putain me laisse plus jamais penser ça s'il te plaît. Ton bonsoir c'était un simple bonsoir mais un bonsoir si doux un bonsoir aussi rose que ton rouge à lèvres un bonsoir qui me rend un peu plus amoureuse chaque syllabe chaque lettre voyelle comme consonne putain bonsoir jamais j'aurais cru autant aimer autant adorer ce mot si simple pourtant bonsoir.
-Salut.
Ton sourire est plus grand encore comment c'est possible ? Il est si grand qu'il atteint tes grosses lunettes rondes qui couvrent la moitié de ton visage.
-Il faudrait qu'on sorte, un de ces soirs. J'aime beaucoup te voir dans ma petite fleuristerie du centre-ville mais ce serait bien qu'on fasse un rendez-vous plus... officiel.
Pas con. Mais j'aime bien ta petite fleuristerie du centre-ville moi.
-Pourquoi pas ?
Tes doigts effleurent brièvement mon bras, je sais pas si c'est intentionnel mais en tout cas ce toucher d'ange m'envoie au ciel. Ou en Enfer. Après tout quelle importance ? Ciel ou Enfer tue-moi si c'est pour être dans tes bras.
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19h19.
General Fiction19h19. Le vendredi. Les pensées d'une jeune cliente, sa fascination pour une fleuriste rousse aux trop grosses lunettes. Leurs rendez-vous dans la petite fleuristerie du centre-ville.