Chapitre 3

112 12 53
                                    


Elle était au milieu du désert, paniquée. Il faisait nuit noire, elle pouvait compter les étoiles, mais elle n'en reconnaissait aucune. Tout lui semblait inconnu. Alors, elle se mit à marcher. Elle erra toute la nuit dans ce désert sans fin, sans savoir où aller. Elle était complètement perdue.

Alors que le Soleil venait la saluer, elle vit des habitations, au loin. La faim et la soif torturaient tout son être, ses forces étaient épuisées. Elle se força à avancer, elle voulait au moins atteindre ce village. Elle mit un temps considérable pour parcourir une distance très courte. Elle avait trébuché plusieurs fois dans les dunes, et s'était relevée plusieurs fois, motivée par le sable qui lui brûlait tout le corps. Alors que le Soleil était à son zénith, elle assista à une scène qui aurait brisé le cœur d'une pierre. Elle s'avançait de plus en plus, sans que les jeunes hommes l'aperçoivent. L'un deux était au-dessus d'une fille, elle semblait à bout de forces elle aussi. Ses habits déchirés reposaient quelques mètres plus loin, avec une poire et une pomme de terre. L' homme au-dessus d'elle était en train de la déshonorer.

Elle n'était plus qu'à quelques mètres des acteurs de ce crime. Elle voulait aider la jeune fille. Avant qu'elle ait pu faire quoi que ce soit, les quatre hommes la regardèrent avec des yeux exorbités, et s'enfuirent en courant. Une pensée traversa son esprit :

Mestus agueros.

Alix se réveilla en sursaut. Jamais il ne lui était arrivé de faire un rêve qui lui paraissait aussi réel. Elle pouvait sentir la sueur couler dans son cou, et sentait toujours le sable qui lui brûlait les pieds.

Mais il n'y avait pas de sable ici. Alix était une Montagnarde, et si elle ne se dépêchait pas de se mettre au travail, elle allait avoir des soucis. Elle regarda discrètement par la fenêtre pour estimer combien de temps s'était passé avant qu'elle ne se réveille. Elle n'aurait jamais dû veiller aussi tard hier soir, la journée était déjà à moitié écoulée, à en juger la position du Soleil dans le ciel. Elle rentra, se hâta de prendre son bandeau et de le nouer autour de ses yeux. Elle prit sa canne, et sortit. Elle n'était pas aveugle, et peu étaient ceux qui le savaient. Simplement, ses yeux étaient d'une couleur peu commune, il fallait donc qu'elle les cache. C'est ce que ne cessait de lui répéter son père.

Étant officiellement aveugle, elle ne pouvait pas aider les Montagnards dans les champs. On avait donc dû lui trouver une autre tâche. Son rôle était de laver et de trier les aliments. Une fois lavés, elle déterminait au toucher quels fruits, légumes et féculents nourriraient les Montagnards, et lesquels nourriraient le reste du royaume. Les plus beaux étaient évidemment exportés, les petits ou bizarres restaient sur place.

-Tu serais pas un peu en retard par hasard ?

Celui qui venait de lui poser cette question était son seul compagnon de travail : Arold. S'il était assigné à cette tâche, c'est parce qu'il avait eu un accident il y a bien longtemps, au champs. Il avait donc désormais une jambe en moins. Et ici, chaque main était précieuse, donc jambe en moins ou pas, il avait lui aussi un travail. Ce qui était assez frustrant dans le fait de devoir jouer les aveugles, c'est qu'Alix l'était vraiment lorsqu'elle sortait de chez elle, à cause de la bande de tissu qui lui couvrait les yeux. Elle n'avait donc aucune idée de ce à quoi pouvaient bien ressembler les autres Montagnards. Mais d'après ce qu'elle avait compris, Arold était âgé d'une quarantaine d'années, alors qu'elle n'en avait que douze. Ici, l'âge ne comptait pas. Une seule chose comptait : rester en vie.

-Si, un peu. Je ne me suis pas réveillée.

-Tu as de la chance d'être assignée à ce poste. Cela ne me dérange pas de faire le travail pour deux pendant quelques heures étant donné qu'il n'y a pas grand-chose à faire. Si tu n'avais pas été aveugle et que tu avais été assignée aux champs, tes collègues seraient venus te réveiller à coups de cailloux, et si tu ne t'étais pas réveillée ç'aurait été la lapidation, tant pis pour toi. Pas mal non ?
-Effectivement, pour une fois, être aveugle me va bien.

S'il savait...

Alors qu'elle effectuait son travail quotidien, elle repensa à son rêve. À ses dernières paroles. Qu'est ce que cela signifiait ? Elle n'en avait aucune idée...

Le soir venu, elle rejoignit son père dans la chaumière. Elle n'avait jamais connu sa mère, et toutes ses questions à son propos tombaient dans les oreilles d'un sourd. Les gens du village disaient que c'était une ravissante jeune femme, qui était partie quelques jours après sa naissance. Pourquoi, où, comment, personne ne pouvait lui dire. Le seul qui savait peut-être, son père, ignorait royalement ses questions. Ce dernier travaillait aux champs, comme la plupart des gens du village. Les Montagnards était un peuple qui transmettait son savoir de génération en génération, et dont l'objectif était de nourrir toute la population. Le repos n'était pas permis, et les habitants, sans pitié. Sauf pour une fillette aveugle de douze ans.

Le soir, une fois le dîner fini et son père couché, Alix fit la même chose que tous les soirs. Les Montagnards habitaient sur le plateau. Mais elle, ce qu'elle préférait, c'était la crête. Son père lui interdisait de sortir, c'était donc sans sa permission qu'Alix faisait ses petites escapades nocturnes. Elle sortit donc, à pas de velours, et se dirigea vers la pente escarpée menant au sommet du géant de roche sur lequel se trouvait le village. Elle traversa les vignes, passa au travers des myrtilliers, avant d'atteindre enfin son but. La température était glaciale, mais Alix avait anticipé et s'était bien couverte. Elle s'allongea dans l'herbe, et observa les étoiles. Ces dernières l'avaient toujours fascinée. Elle aimait leur donner des noms, s'imaginer des histoires. Les plus brillantes étaient généralement les plus fortes, des héroïnes, des représentantes de l'espoir. Les moins brillantes étaient les anomalies. Parfois elles étaient gentilles, comme elle. Après tout, être aveugle était anormal, ses yeux étaient anormaux, Alix était donc aussi une anomalie. Mais parfois, les petites tâches de lumières étaient aussi très méchantes, et voulaient conquérir le ciel entier. Elle pouvait rester des heures ici, comme hier soir... Mais elle ne referait pas la même erreur ce soir. Arriver un jour très en retard c'était incorrect, deux jours d'affilée c'était inenvisageable.

Après une heure environ d'histoires d'amour et de preux chevaliers chez les points de lumière, Alix décida donc qu'il était temps qu'elle rentre chez elle.

Alix décida de descendre à toute vitesse. Elle adorait sentir le vent dans ses cheveux, la fraîcheur de la nuit sur son visage, elle avait la sensation d'être libre. Alors que son attention était totalement relâchée, elle heurta quelque chose et tomba. Elle roula sur plusieurs mètres avant de finalement être arrêtée par un arbuste un peu plus gros que les autres. En se relevant, elle se trouva nez à nez avec un garçon du village. N'ayant jamais vu aucun des habitants de ce dernier, elle était donc incapable de dire de qui il s'agissait. Mais il avait vu ses yeux, elle en était sûre. 

Aiglorina ~ Les trois artefactsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant