Aiglorina ~ Les trois artefacts

Chapitre 10

Le père d'Alix était un homme habituellement jovial, optimiste et dont la bonne humeur était contagieuse. Il ne rechignait jamais et était un travailleur acharné. C'est pour cette raison que lorsqu'Alix le vit arriver blanc comme un linge, elle sut d'avance que quelque chose n'allait pas. Sans qu'elle ne sache pourquoi, il prit sa fille dans ses bras et la serra très fort, si fort que la respiration d'Alix en fut coupée pendant un instant.

-Papa... Tu m'étouffes... Murmura Alix dans un souffle.

-Oups désolé.

Il se redressa et la détailla. S'il continuait de la regarder de cette manière avec ces beaux yeux bleus aussi larmoyants, Alix n'allait pas tarder à craquer à son tour. Que son père soit triste était rare, qu'il pleure était du jamais vu.

Il écarta tendrement une mèche barrant le visage de sa fille. Alix sentait qu'il la scrutait, et qu'il fixait ses yeux comme s'ils les voyait pour la dernière fois.

-Papa... ? Tu me fais peur...

Son père ne répondit bien. Il grimaça avant de lui décocher ce qui devait à l'origine être un sourire mais qui ressemblait plus à un rictus. Il prit tout de même la parole après quelques minutes de silence.

-Chérie, il faut que tu me promettes quelque chose.

-Oui papa ?

-Il faut que tu fasses exactement ce que je te dirai de faire, même si ça ne te plaît pas.

-Dis moi ?

-Je veux que tu fuis. Fuis le plus loin possible. Il y a une île, à l'ouest du royaume. Il faut que tu te rendes là-bas. Des bâteaux partent secrètement de la côte assez régulièrement, trouve l'un d'eux. Montre tes yeux à ceux qui s'occupent de la traversée, ils te laisseront monter.

-Tu veux que je leur montre mes yeux ? Tu es sûr ?

Le père de Kaynaline ne lui avait jamais demandé de montrer ses yeux. Au contraire, il lui avait toujours demandé de les cacher, à cause de leur couleur si atypique.

-Oui, tu leur montreras tes yeux. Mais en attendant, rends toi là-bas en évitant toute forme de civilisation. Reste le plus loin possible des villages et des auberges. Le plus loin possible, tu m'entends ?

Il avait presque crié ces derniers mots.

-Mais... Et toi ?

-Il ne m'arrivera rien. Je ne suis pas en danger. En revanche, ce n'est pas ton cas. Une rumeur circule sur une certaine créature ayant les yeux de la même couleur que les tiens. Les Chasseurs sont à ta poursuite.

Son sang ne fit qu'un tour à l'entente de cette nouvelle. Quelqu'un l'avait vue, et l'avait dénoncée qui plus est. Il n'y avait qu'une personne qui ait vu ses yeux, et cette personne n'était autre que le garçon qu'elle avait bousculé il y a quelques semaines sur la coline.

Maintenant elle était obligée de fuir, et ce à cause de ses caprices d'enfant voulant voir les étoiles.

Son père se dirigea vers la cuisine, rassembla précipitemment assez de nourriture pour une semaine et lui mit dans un baluchon.

-Mais... Papa ! Que vas-tu manger ? C'est beaucoup trop de nourritures ! Je ne peux pas te laisser comme ça !

-Tu m'as promis !

Alix se renfrogna.

Son père revint vers elle, déposa un baiser sur son front et la regarda dans les yeux.

-Faufile toi dans les village uniquement la nuit pour chercher de l'eau dans les puits. Je t'ai déjà mis de l'eau dans une gourde à l'intérieur de ton baluchon mais ça ne devrait pas être suffisant. Uniquement la nuit, compris ?

-Compris.

Alix le serra fort dans ses bras à son tour. Une larme roula sur la joue de son père. Ce qui ne tarda pas à se reproduire sur la sienne.

-Allez ! File !

Son père ouvrit la porte et lui fit encore un dernier tendre bisou avant de la pousser en direction de la forêt. C'était la première fois qu'Alix sortait en plein jour sans son foulard sur les yeux. C'était vraiment magnifique. Mais elle se dit qu'elle aurait tout le temps d'apprécier le paysage plus tard. Elle devait rejoindre la forêt au plus vite. Elle se retourna une dernière fois en direction de son père tout en continuant d'avancer et lui fit un dernier signe d'adieu.