Chapitre 4

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   « ... Fukano arriva sur son destrier à plumes, piétinant les cadavres bleus des Phaeliens, puis demanda que chacun soit empalé à la frontière. Plus jamais le Phael n'attaqua l'armée pâle... » Fukano la guerrière blanche, Anonyme, 1E 83C.

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   Une vive douleur au crâne, Renshi venait de se réveiller, un sac sur la tête. Elle tenta d'articuler quelques mots, en vain. Ses muscles frissonnaient.

   Où suis-je ? réfléchit-t-elle. Il y a quelques instants j'étais encore avec Akiya, dans les bois. J'ai été... j'ai été enlevée !

   Elle se secoua, tentant de bouger, mais s'ajoutant à la faiblesse de ses muscles, une corde lui liait les mains. Elle était sur les genoux, dans une position peu confortable. Du fait que ses poings étaient dans son dos, elle essaya de les faire passer devant elle, en vain.

   « Où... Où... », bafouilla-t-elle à travers le sac de tissu.

   Soudainement quelqu'un lui enleva le sac du dessus de sa tête, l'éblouissant au plus haut point. Il lui fallut quelques secondes pour s'habituer à la lumière, découvrant une pièce au parquet pâle et aux murs en cases de papier. Se trouvait à côté d'elle, en ligne, d'autres archelans à genoux et aux poings liés dans leurs dos. Une autre ligne se tenait en face d'elle, autant que sa ligne, soit une demi-douzaine de personnes. Tous étaient disposés de façon à regarder la personne en face. Mais aucun ne ressemblait à Akiya.

   Elle a dû s'enfuir, pensa Renshi, confiante.

   Mais Renshi remarqua qu'il n'y avait pas que des archelans enlevés comme elle. Il y avait aussi ceux qui l'ont emmené ici, habillés de kimonos bruns chacun brodés de trois cercles blancs.

   C'est bien la milice du Kōtei, comprit-t-elle. Ils sont organisés, sérieux, distingués et aucun semble vivant. Comme des... statues... Fixes comme des statues. Mais c'est étrange, ils portent des chapeaux cette fois ?

   Comme l'avait remarqué Renshi, la milice de Kōtei portait des sugegasa, chapeaux coniques assez grands pour cacher leurs visages en se penchant, rajoutant aux mystérieux de ces miliciens. Mais leurs mains jointes dans leurs manches suffisaient.

   Ce n'est que quelques secondes après les avoir quitté des yeux que Renshi découvrit que plus aucun de ses contemporains prisonniers n'avait de sac sur la tête, mais nul n'osait bouger, surement paralysés comme elle.

   Soudainement, des bruits de pas retentirent. Discrets et lents. Renshi tourna la tête, découvrant un autre membre de la milice du Kōtei, mais lui n'avait pas de chapeau. Une longue tresse tombait jusqu'à son dos. L'archelan portait un Kimono légèrement plus sombre que les autres, tournant au marron, mais lui avait des fleurs de lotus dorées brodées au niveau de son col.

   Un emblème de famille, peut-être ? songea Renshi.

   L'archelan passa le seuil de la porte menant à l'extérieur, passant entre les deux lignes de prisonniers comme s'ils étaient une sorte de couloir, le tout avec les mains jointes derrière son dos, puis il arriva à l'autre bout de la pièce et se retourna.

   « Comme vous l'avez deviné, je ne suis pas là pour vous libérer et vous renvoyer chez vous, fit l'archelan sous les yeux paniqués de ses prisonniers. Mon nom est Hagashikata Hajiku. »

   C'est le conseiller du Kōtei ! comprit Renshi.

   Hajiku avait une posture aussi fixe et élégante que ses compagnons, mais était tout aussi sombre et mystérieux sous ses traits anguleux et ses petits yeux jaunes.

   « Nous vous avons recrutés de force, pas enlevé, affirma Hajiku avec un ton étrangement rassurant. Bien que la différence soit mince, nous vous traiterons avec tout le respect qu'il se doit, tout le respect que méritent des arcanistes de votre envergure. »

   De notre envergure ? Ils nous ont espionné !

   « Comme vous le savez, la guerre approche, et nous avons besoin d'effectif... C'est pourquoi nous vous avons choisis pour vous former aux arts de l'arcane, et à la spiritualité qui en découle. Mais ne vous faites pas d'illusion ! Ce n'est pas une offre, c'est un ordre ! Du Kōtei lui-même ! Alors quiconque tentera de fuir... ou de manquer aux leçons... se verra envoyé au front dès qu'il sera ouvert... sans équipement... »

   Tous les archelans à genoux se mirent à gigoter dans tous les sens, paniquant, rageant, hurlant pour l'un d'eux, mais Renshi, elle, ne bougea d'un cil.

   Le prisonnier ayant hurlé s'arrêta soudainement, les pupilles rétrécies par un rictus de douleur. Le milicien derrière-lui venait de lui donner un coup précis dans la nuque, le paralysant douloureusement.

   « Ce malpoli est un bon exemple, commenta Hajiku. Si jamais vous nous désobéissez ou vous nous critiquez, alors nous vous paralyseront. Nous sommes très forts pour cela, car il nous est possible de bloquer vos muscles tout comme vos flux. Qu'ils soient sanguins ou arcaniques. Donc même avec ce que nous vous apprendrons, vous ne pourrez ni vous révolter, ni vous enfuir.

   -       Mais vous ne pouvez pas tous nous surveiller ! », lança un archelan d'un âge plutôt avancé.

   Hajiku tordit ses traits, une colère silencieuse au visage, mais il s'approcha dudit prisonnier et se plia jusqu'à arriver à son niveau.

   « Nous avons nos yeux et nos oreilles partout, affirma Hajiku d'un ton redevenu calme et oppressant. Alors, Slathus, n'essayez pas de faire le malin. La paralysie est temporaire, mais la douleur est intense, quelles-que-soient les zones touchées...

   -       Dès que mon frère saura que je suis disparue il viendra ici et rasera tout avec ses troupes ! coupa Renshi, sa timidité vaincue.

   -       Shugen Renshi, votre frère est le fameux lieutenant Shugen, nous savons, affirma Hajiku avec un regard malin après s'être tourné vers elle. Mais, vous savez, si le Kōtei entend cela, il ne sera pas très heureux, et il me semble que... attendez... oui ! Dès lors qu'un sujet, de n'importe quelle situation sociale, créé des soucis au Kōtei, alors celui-ci peut l'exécuter en public.

   -       Les archelans n'exécutent pas les gens ! affirma Renshi, la colère au visage et les dents serrées.

   -       Les cultures changent... »

   Hajiku se redressa, ses manières nobles n'étonnant plus Renshi, puis il se dirigea lentement vers la porte de sortie.

   « J'espère, Shugen, que vous allez montrer le bon exemple et allez devenir une bonne arcaniste, lança Hajiku sans se retourner. Il serait dommage que de votre faute, votre amie Akiya déçoive le Kōtei... Un grand général comme elle se doit de survivre jusqu'à la guerre...

   -       Où est-elle ?! », hurla Renshi.

   Hajiku se retourna, les mains dans le dos.

   « Officiellement elle est à l'hôpital, un malencontreux soldat du Phael l'a assommé et tabassé, mais vous savez très bien qu'elle est cachée quelque part, et que au moindre écart de votre part elle mourra sur le champs et sur mon ordre... » 

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Prononciations :

Sugegasa : [ sygegasa ]

Hagashikata Hajiku : [ hagaʃikata haʒikʊ ]

Slathus : [ sɺatys ]


ΛRCHΛE {T.3}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant