Les liens fraternels peuvent être forts, mais celui que partagent les frères Winchester est indestructible et à la fois destructeur.
Bobby a pu s'en rendre compte il y a de cela plusieurs années alors que ces grands hommes n'étaient encore que des gamins.
Une nuit, alors que John lui a apporté ses enfants dans la journée en lui demandant de bien vouloir prendre soin d'eux, le vieil homme lit, assis à son bureau, un verre de whisky devant lui et la bouteille à portée de main.
Cette fois c'est un chapitre concernant les goules. Malgré ses nombreuses connaissances en matière de créatures surnaturelles, il ne cesse de s'instruire à leur sujet, apprenant toujours plus de détails les concernant.
-- Je déteste les goules, dit-il en refermant le livre et en buvant une gorgée de sa boisson préférée.
Il soupire, se cale au fond de son fauteuil et réfléchit. Ses pensées se dirigent vers John Winchester et surtout vers Sam et Dean. Il se demande ce qu'ils vont devenir, s'il ne vaudrait pas mieux que John reste auprès d'eux au lieu de courir après sa vengeance et surtout, si le petit Dean va bien.
Sa mère est morte sous ses yeux, bien sûr qu'il ne va pas bien ! pense-t-il.
Il soupire une nouvelle fois, reprend une gorgée et se frotte la barbe.
Du haut de ses cinq ans, Dean montre une force de caractère surprenante. Il ne parle pas beaucoup, sourit quasiment jamais et prend plus soin de son frère que de lui-même.
D'ailleurs, les rares fois où Bobby l'a vu sourire, c'est quand Sam se met à sourire lui-même et à parler en langage « bébé ». En jouant avec Sammy, Dean retrouve son âme d'enfant, le reste du temps, il agit comme un adulte, plaçant son frère au sommet de ses priorités.
Où est passé le gosse qui s'amusait à me faire des grimaces justes pour le plaisir de m'entendre ronchonner ? Ou bien celui qui voulait toujours s'asseoir derrière le volant de mon pick-up ? Bref, où est passé Dean ? se demande Bobby, triste de ne plus reconnaître son « neveu ».
Et Sammy. Sammy qui grandit sans mère et qui commence à grandir sans son père. Est-ce vraiment prudent de laisser les choses se passer ainsi ? Ne devrait-il pas intervenir et prendre les choses en mains ? Dire stop à John et l'envoyer paître comme tant de fois en un an depuis la mort de Mary ?
Sammy manquera toujours de l'amour de ses parents, tout comme Dean, mais au moins il aura son grand frère, c'est sûr. Ils seront là l'un pour l'autre et ça Bobby le sait. Les frères Winchester s'en sortiront.
Le chasseur se lève, décidé à aller vérifier si les petits dorment. À en juger par le silence qui règne dans la maison, Sammy doit dormir. Dean quant à lui est peut-être en train de jouer avec ses petits soldats en cachette sous sa couette.
Combien de fois est-il entré dans la chambre de son « neveu » en sachant très bien qu'il faisait semblant de dormir ? Et combien de fois a-t-il fermé les yeux, laissant Dean jouer tranquillement ?
Il sourit en y repensant et arrive devant la porte de la chambre de Sammy.
Ce qu'il voit soudain et l'émotion qu'il ressent à ce moment-là, lui restera gravé en mémoire jusqu'à la fin de ses jours.
Sammy dort paisiblement dans son lit à barreaux, l'une de ses mains passant d'ailleurs à travers ceux-ci pour tenir celle de son grand frère. Car Dean est là lui aussi.
Assis en tailleur sur le sol, il observe son frère dormir, caressant le dos de sa main avec délicatesse.
Bobby s'approche doucement et vient s'agenouiller à ses côtés.
-- Qu'est-ce que tu fais là gamin ? chuchote-t-il en posant une main sur son épaule.
Le petit lève les yeux vers lui et lâche, comme si c'était logique :
-- Je protège Sammy.
-- Tu le protèges de quoi ? demande Bobby sans se douter que la réponse lui brisera le cœur.
-- Du monde, déclare Dean. Si je reste avec lui, il lui arrivera jamais rien. Je te le promets Tonton Bobby.
Le vieil homme en a les larmes aux yeux mais sourit. Dean est fort. Il deviendra quelqu'un de bien, ça ne fait aucun doute.
-- Je vais veiller sur Sammy le reste de la nuit d'accord ? Toi tu vas aller au lit, il est tard et demain tu m'aides à nettoyer la voiture n'oublie pas.
Dean regarde son frère, puis Bobby, apparemment décidé à ne pas l'écouter.
-- Je suis pas...fatigué dit-il en baillant.
Bobby lâche un petit rire en ébouriffant ses cheveux.
-- Si tu veux demain on déplacera ton lit dans la chambre de Sam, comme ça tu seras avec lui. Mais en attendant c'est moi qui me charge de le surveiller.
L'idée semble plaire au petit puisqu'il se lève enfin après avoir caressé la tête de son frère.
-- Tu me promets de pas t'endormir et de bien le surveiller ? demande-t-il d'un ton décidément trop mature pour son âge.
-- Promis.
Dean semble satisfait et se décide enfin à retourner dans sa chambre, suivi de près par Bobby. Lorsqu'ils y arrivent, le garçon se tourne vers lui et s'accroche à ses jambes.
-- Merci Tonton Bobby, dit-il.
-- Pas d'quoi gamin, répond le chasseur en le serrant contre lui.
Il attend que son « neveu » soit dans son lit pour lui souhaiter une bonne nuit et éteindre la lumière.
Son sourire ne disparaît pas alors qu'il retourne dans la chambre du plus jeune. Ce que les enfants peuvent être touchants et attendrissants ! Cette innocence pure malgré l'horreur qu'ils peuvent vivre est émouvante.
Il repense à sa promesse et s'installe sur le fauteuil à bascule à côté du lit de Sam.
Interdiction de fermer les yeux monsieur Singer. Vous avez une promesse à honorer, s'intime-t-il en retournant chercher sa bouteille de whisky et son livre.
