La première

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C'était l'effervescence à cette heure-ci. Les gens couraient dans tous les sens avec évidemment une très bonne raison de le faire et je m'acquittais de ma part sans trop gêner les allers et venues de tout un chacun. 

L'ambiance était revigorante et donnait vraiment l'impression de faire parti d'un tout unifié. Complet. 

- Tu devras te tenir en bordure de plateau juste là. Lucie, tu m'écoutes ? 

Revenant greffer mon attention sur Lisa qui s'affairait à poser une bouteille d'eau minérale face à chaque fauteuil sur le pupitre central, je cessais de ce fait ma contemplation émerveillée. 

- Ou-oui, tu as toute mon attention. Excuses-moi. Donc tu dis que je recevrais les instructions dans l'oreillette en cas d'urgence. 

- C'est ça mais de toute manière, si le travail est fait en amont, il n'y aura normalement que très peu de risque que tu interagisse pendant l'émission. Tu seras surtout présente en observation. 

Autant la jolie rouquine pouvait être une poupée espiègle et délurée, autant lorsqu'il le fallait, son sérieux reprenait le dessus et elle devenait une working girl très intransigeante. 

Elle me tendit une liasse de plannings que je disposais à côté de chacune des bouteilles. Les spectateurs commençaient à affluer dans un doux brouhaha contemplatif. Ils devaient certainement ressentir le même étonnement que la première fois où j'avais mis les pieds dans ce décor ahurissant d'autant plus que la lumière des nombreux projecteurs au-dessus de nos têtes rendait un lieu immaculé et design surréaliste. 

L'émission débuterait dans moins d'une demi-heure maintenant et un stress presque palpable inondait l'espace. Les caméramans parlaient trop fort et se dépêchaient de mettre en marche leur engin tandis que les assistants ruaient d'un côté à l'autre pour que tout soit prêt pour le top départ. Yohan n'était pas encore sur place et Lisa m'avait renseigné à ce niveau qu'il n'apparaîtrait qu'à partir du moment où tout serait en ordre et dans un calme religieux. 

- Tu ne m'as rien dit sur le trajet du retour d'hier soir. 

Lisa ne me regardait pas, continuant de s'occuper les mains consciencieusement, l'air de rien. 

- Il n'y a rien à dire, en fait. 

Cette fois, elle braqua deux orbes éclatantes et outrageusement auréolés de noir vers moi mais je m'obstinais à faire comme si de rien n'était. 

-  Tu me prends pour une idiote, n'est-ce pas ? 

" Chacune des personnes non autorisées est prié de quitter le plateau. Pour les autres, en place. Nous allons entamer le décompte avant l'antenne dans moins de cinq minutes."

Je m'excusais dans un moue faussement contrariée auprès de ma nouvelle amie qui plissait légèrement les yeux. Elle n'était pas dupe et avait compris très vite que je cachais quelque chose. Cependant, elle n'insista pas et me guida vers l'orée du plateau. Position que nous garderions jusqu'à l'entracte publicitaire. 

Je gardais une concentration sans faille tout le temps du direct, occupant toutes mes pensées à assurer à la moindre demande faite à mon encontre. A deux reprise, Lisa me félicita devant ma rapidité d'action et mon dynamisme. J'avais pallié à un problème de micro avant même que le technicien son ne m'en fasse la demande, attendrie devant l'embarras d'une jeune actrice encore peu habituée des plateaux qui tentait sans succès de le raccrocher à son veston. L'invitée m'offrit un regard empreint de gratitude avant de reprendre son échange avec l'émérite présentateur qui occupait l'espace aussi omniprésent qu'à l'accoutumée. Grandiose. 

Puis une autre fois, ce fut lorsqu'un des spectateurs se sentit défaillir. Peut-être à cause de la température du plateau ou dû au stress de se retrouver à la télévision mais quoiqu'il en soit, un avertissement feutré à mon oreillette m'en averti et je guidais le malheureux hors de vue des caméras et lui offrit même un verre d'eau tandis qu'il reprenait peu à peu des couleurs. 

- Tu veux un café, petite cachotière ? 

Je me retournais sur une Lisa, orageuse, qui avait croisé les bras sur sa poitrine, l'air grave. 

- Je n'y échapperais pas, c'est ça ? 

- T'as tout compris ma vieille. 

Nous restâmes tout le temps de la pause dans un recoin du plateau. Je croisais le regard interrogateur de Vincent qui installait ses fiches devant le fauteuil où il prendrait place après la reprise lorsque Yohan annoncerait sa rubrique humoristique. Il nous dévisageait, intriqué sans desserrer les dents. Lisa avait un immense sourire sur les lèvres durant tout mon récit sur l'échange déconcertant que nous avions eu, Gabin et moi, dans ce taxi. Elle jubilait. 

- Promets de garder pour toi tout ce que je te raconte ou tu peux être sûre que plus jamais je ne te confierais quelques chose. 

Elle pressa ma main au creux de la sienne et m'annonça solennellement qu'elle pensait avoir trouvé une amie si inestimable qu'elle n'irait pas tout gâcher en ragots mondains et jura une croix sur le coeur que j'avais l'autorisation et même le devoir de la flageller sur place au moindre écart de conduite. L'image eut le mérite de me dérider et lorsque nous primes le chemin vers la caméra une, cela se fit dans les éclats de rire.

La deuxième partie d'émission était consacrée à toute une tripotée de chroniqueurs dans plusieurs thèmes divers et variés. Sportif, humoristique et autres mais le plus vaste encart était réservé à Gabin et sa rubrique actualité internationale. Aujourd'hui, il énonçait son projet d'aller en Floride pour étayer l'information peu retransmise dans les médias, au sujet des ravages causés par l'ouragan Kelly. Son discours était claire, concis et personne n'envisageait de l'interrompre tans ses paroles construites contaient avec ferveur le drame vécu par les sinistrés. J'écoutais, non je devrais dire, je buvais littéralement son élocution sans ne plus concentrer mon attention sur autre chose que sa voix caressante et posée qui emplissait mes tympans comme une douce mélodie. Je n'avais aucun moyen de m'y soustraire même si pourtant je savais qu'il n'était pas disponible, j'en étais proprement incapable. Je réalisais à cet instant, à quel point, j'admirais cet homme. Il était engagé et passionné. Et je ne pouvais que me plier devant tant de grandeur.

Merde !

Je devenais une vraie névrosée et en baissait immédiatement les yeux sur mes baskets, rouge de honte. J'espérais seulement que personne ne l'avait remarqué mais c'était sans compter sur ma nouvelle ombre. Lisa. 

- T'es foutue, ma belle. Tu l'as carrément dans la peau celui-là. 

Elle avait à peine chuchoté à mon oreille et j'évitais à tout prix de croiser son regard lagon jusqu'à la fin de la diffusion. 



LA FATA MORGANAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant